Nice-Matin (Menton)

Tourrette-Levens

L’associatio­n évincée par la municipali­té de refuse de quitter le fort militaire qu’elle occupe au mont Chauve. Un bras de fer judiciaire sur fond de querelles intestines.

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Un retraité, cheveux blancs et chemisette vert pastel, pose l’étui de son arme de poing sur le comptoir. « Patrick, on en est où de l’affaire ? », lancet-il en présentant sa licence de tir. « Quelle affaire ? », lui retourne du tac au tac Patrick Scordino. Le président du Tir club des forces de l’ordre (TCFO) coupe court : «On est là et on reste là ! »

Sauf que rien n’est moins sûr… La commune de Tourrette-Levens, propriétai­re de la petite batterie du mont Chauve où s’est installé le TCFO en 2008, a lancé une nouvelle consultati­on au printemps. L’associatio­n actuelle n’a pas été reconduite. Elle devait rendre les clés du fort le 1er septembre… Mais ne l’a pas fait. Arguant que le cadre juridique n’a pas été respecté par la commune, elle continue même de prendre des licences comme si de rien n’était. Ce qui en fait « des squatters », résume le maire, Bertrand Gasiglia, qui étudie les voies de recours pour expulser le Tir club.

« Il n’y aura pas de Fort Chabrol »

Avant même de saisir le tribunal administra­tif, Bertrand Gasiglia explique avoir écrit « au préfet, au procureur de la République et aux gendarmes pour les informer de la situation ». Nul ne l’ignore en réalité. Plusieurs services de l’État suivent, depuis longtemps déjà, le feuilleton à rebondisse­ment du TCFO et de ses guéguerres intestines. Sauf que personne ne semble vraiment pressé de se saisir du dernier épisode en date.

« C’est délicat, reconnaît une source officielle qui préfère rester anonyme. Ce n’est pas à un club de bridge qu’on a affaire. » Expulser manu militari d’un ancien fort militaire du XIXe siècle, construit au sommet du mont Chauve précisémen­t pour résister à un assaut, une associatio­n de tir sportif qui compte à ce jour 220 membres aguerris et, qui plus est, dispose d’armes et d’une profusion de munitions, pourrait s’avérer… pour le moins compliqué.

Ainsi exposé, le caractère « sensible » de cet imbroglio juridique fait néanmoins sourire Patrick Scordino : « Je peux vous dire qu’il n’y aura pas de Fort Chabrol. Nous ne nous opposerons pas aux forces de l’ordre, si c’est ce qui inquiète. » Le président désigné des « squatters » promet, en revanche, une « guerre judiciaire » totale, « qu’elle dure 6 mois ou 6 ans ». Il affirme que le maire de Tourrette-Levens «n’a pas fait les choses dans les règles ». En dépit d’un conseil municipal qui s’est tenu le 26 juin, d’un courrier adressé le 5 août à l’associatio­n et d’un huissier qui s’est présenté le 31 du même mois pour faire l’état des lieux de sortie.

Accusation­s croisées et signalemen­t au pénal

Sauf que pour le président du TCFO, « administra­tivement », cela ne suffirait pas à faire de lui un occupant sans droit ni titre. D’autant moins, qu’à l’entendre, l’associatio­n se serait vue octroyer une (Photo Dylan Meiffret) convention d’occupation d’un an lors de sa création en 2008 qui n’a « jamais été renouvelée » au terme de ce délai. « Il n’y a pas non plus eu de nouvelle consultati­on lancée », affirme Patrick Scordino. Du moins jusqu’à celle du mois de juin.

Le tribunal administra­tif, saisi en fin de semaine dernière par la commune, tranchera qui de l’associatio­n ou de la mairie est dans son bon droit.

Les contentieu­x liés au TCFO, qui s’est même retrouvé sous administra­tion judiciaire durant plusieurs mois, semblent s’être multipliés ces dernières années. Olivier Bossu, l’ancien président évincé, avait, de son côté, déposé un signalemen­t, pénal cette fois, dès 2018. Malversati­ons financière­s, faux et usage de faux, délivrance d’attestatio­ns de complaisan­ce en vue d’obtenir une autorisati­on de détention d’arme et même trafic de munitions en provenance du Luxembourg via une associatio­n de la police monégasque… Les accusation­s sont lourdes. Mais peinent à déboucher sur des poursuites. Olivier Bossu, qui se demande bien pourquoi l’affaire traîne autant, croit même savoir qu’elle est déjà passée dans les mains de « neuf services d’enquête différents dans deux départemen­ts » en l’espace de quatre ans.

Climat délétère

Il y a quelques semaines, un commissair­e de la police judiciaire s’est bien rendu en personne à la batterie du mont Chauve… Mais c’était pour une nouvelle affaire (lire cidessous) ! Le TFCO semble être à l’histoire du tir sportif ce que Dallas est à la série télé. Un feuilleton sans fin où les querelles se succèdent. La dernière en date a conduit à l’éviction de la trésorière du club, pas plus tard qu’en juin. Dans une lettre ouverte aux adhérents, elle critiquait la gestion de l’associatio­n.

De guerre lasse, la municipali­té tourrettan­e a-t-elle estimé qu’il était temps de crier « halte au feu » ? Le maire reconnaît que ce climat délétère a « contribué » au lancement d’une nouvelle consultati­on. Sauf que le nouveau concession­naire désigné ne semble pas près de pouvoir tirer ses premières cartouches.

ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

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Les accusation­s fusent autant que les balles au Tir club des forces de l’ordre.

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