Dans les années et … Mes hivers à Menton
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En ce temps-là, quand je passais mes hivers à Menton, c’était surtout une ville de séjour hivernal. Les Anglais venaient s’installer dans les villas au bord de la mer, sur les collines ou dans la banlieue chic de Garavan. La plupart des hôtels n’étaient ouverts que l’hiver. Beaucoup de magasins aussi étaient fermés l’été.
Nous, les enfants Trilling allions à Menton chaque hiver, entre les années vingt et trente, pour échapper aux brouillards de Londres.
Ce voyage était un événement unique pour moi. Quelquefois, on s’arrêtait à Paris pour visiter les cousins français, mais la plupart du temps on continuait directement sur Menton. C’était un voyage fatigant, mais pour moi je l’aimais, surtout les petitsdéjeuners dans le wagonrestaurant où les tables étaient éclairées par des lampes aux abat-jour bordeaux. On nous servait des baguettes et des omelettes baveuses au jambon et du café dans des tasses de porcelaine épaisse. Il nous arrivait quelquefois d’être dans le train à Noël. Alors Goody, notre gouvernante, nous donnait des bas de Noël pleins de petits jouets pour nous distraire.
Arrivés à Menton, d’abord c’était des fiacres à cheval qui nous amenaient à la villa, après ce furent des taxis. On traversait la vallée du Borrigo, puis on passait par les jardins de l’hôtel des Îles britanniques jusqu’à la villa de ma grand-mère. Nous allions à Menton presque tous les hivers.
À l’âge de quatre ans, c’était une nurse qui me gardait avec une petite soeur et un frère aîné. Mais après, ce fut notre gouvernante Goody qui s’occupait de mes trois soeurs et moi. Ma mère nous accompagnait de temps en temps.
Nous passions l’hiver chez ma grand-mère, Madame Fanny Trilling, à la villa Miraflor dans la rue des Terres Chaudes.
La villa était probablement nommée ainsi à cause du bougainvillée, qui couvrait le mur de l’entrée.
Miraflor et Mirasol étaient deux villas jumelles que mon grand-père avait achetées au début du vingtième siècle.
Derrière les villas se trouvaient des collines, tandis que la rue donnait sur le chemin de fer où passait le Train bleu faisant un grand bruit et lançant des bouffées de fumée blanche en route pour l’Italie ou bien Paris. De l’autre côté du chemin de fer se trouvait la ville. Plusieurs fois par jour, on entendait et on voyait les écoliers dans leurs capes bleu marine se précipiter dans la cour d’une école.
De la villa on ne voyait pas la mer, mais on pouvait l’imaginer, des fois azur et calme, des fois orageuse, lançant ses vagues sur la promenade. Quand il faisait beau, des femmes en costume mentonnais nous proposaient de monter à dos d’âne. Dans les années vingt, mon grand-père, assis dans une chaise d’osier vert, près du kiosque à musique, fumant son cigare, attendait le fiacre à cheval qui le remontait à la villa pour le déjeuner.