Avec « La plus précieuse des marchandises », film d’animation, le cinéaste de « The Artist » révèle une autre facette de son talent, humaniste.
ÀCannes, il a déjà séduit avec un film muet en noir et blanc (« The Artist »). Déçu avec un film de guerre (« The Search »). Amusé avec Godard (« Le redoutable »). Ou réjouit avec un pastiche du film d’horreur (« Coupez ! »). Michel Hazanavicius est de retour sur la Croisette avec « La plus précieuse des marchandises », film d’animation où son coup de crayon sur la forme sert à merveille le sujet de fond. « Je dessine depuis mes dix ans, et je n’ai jamais arrêté. Ça restait une activité très intime, même si je faisais le storyboard de mes films. Mais le sujet nécessitait des visages d’humeur très particulière, alors je m’en suis occupé. »
Sujet délicat puisqu’il esquisse la Shoah. L’adaptation d’un conte de Jean-Claude Grumberg. Le récit d’un couple de bûcherons polonais, qui recueille un bébé tombé d’un train de déportés. Qui apporte néanmoins de la lumière, un message d’espoir, malgré « nuit et brouillard ».
« C’est une histoire magnifique, qui fait aussi tragiquement écho à l’histoire de ma famille. Cela dit, j’ai un peu hésité à faire le film, car ma génération n’est pas ouvertement obsédée par la Shoah, et je n’ai jamais été attiré par les ténèbres, davantage par la comédie. Mais ‘‘La plus précieuse des marchandises’’, c’est aussi l’idée qu’on peut faire le choix de la vie, malgré tout…»
Et puis la voix, inoubliable, inimitable, de
Jean-Louis Trintignant. Dont le ton ne prend que plus d’ampleur, depuis sa disparition. « C’est la plus belle voix du cinéma français, sans doute pour toujours. C’est un vieux monsieur, un homme qui a vécu des tragédies, qui a souffert, pas seulement un acteur. »
La voix de Trintignant, pas celle de Depardieu
Un timbre singulier. Et la musique d’Alexandre Desplat pour converser avec le silence. En revanche, Depardieu (un temps pressenti à la place de Grégory Gadebois), s’est tu. Rattrapé par le mouvement #Metoo et les accusations portées contre lui.
« Je ressens des sentiments assez contradictoires à cet égard. Bien sûr, il est dommage de se passer d’un tel acteur mais tout ce qui va dans le sens de la justice et de l’égalité est heureux. Nous vivons une révolution, plutôt douce, avec des moments tranchés. Moi, je ne vais ni défendre ni condamner Depardieu. » Le film d’animation, lui, est sélectionné en compétition. Pour la première fois en quinze ans. Là aussi, le signe d’une évolution ? « Moi, je considère que je n’ai pas fait un film d’animation, mais simplement un film. J’apprécie qu’il soit traité comme les autres, et non pas dans une catégorie à part. Car au final, on raconte tous une histoire, à travers des images et du son. Je ne revendique rien au nom de l’animation, mais je suis content pour l’équipe qui a travaillé avec moi d’être en compétition. »
Lorsque Michel Hazanavicius vient sur la Croisette, on évoque forcément « The Artist », et le prix d’interprétation pour Jean Dujardin. Pas pour la réalisation. Car en dépit de ses nombreuses récompenses glanées, le cinéaste n’a jamais été honoré sous les ors du Palais.
« ‘‘The Artist’’, c’est un grand souvenir bien sûr, et son accueil a été d’autant plus chaleureux que les spectateurs partaient avec un a priori dubitatif sur ce film muet en noir et blanc. Mais ‘‘La Classe américaine’’ ou les OSS 117 sont des films assumés et résistent bien au temps. ‘‘The Artist’’, c’était comme un bonbon. Là, avec ce film à la fois beau et délicat, le bonbon est un peu plus poivré. »
Lui ne se voit pas remettre en scène Hubert Bonisseur de La Bath, pour un nouvel OSS 117. Et il a aussi renoncé à son ancien projet sur les frères Guérini à Marseille.
« Ils représentent un peu ce que fut l’ADN de la Ve République pendant longtemps, ses collusions. Mais tout cela a changé avec la disparition des Pasqua, Defferre… Et puis le problème avec les films de mafieux, c’est qu’il faut les plus beaux costumes, les plus belles voitures, et ça coûte très cher. »
Pas ce souci-là avec l’animation. Et « La plus précieuse des marchandises » est aussi remise en question, à l’heure où l’antisémitisme est à nouveau en pleine ascension. Inquiétant ? « Bien sûr, mais moi, je ne sais pas trop quoi faire. C’est quand même très juif de se croire responsable de quelque chose, mais peut-être que ce n’est pas de notre faute à100% , ironise amèrement Michel Hazanavicius. Il y a toujours un fanatisme lié à l’ignorance, à la peur de l’autre. Mais je crois que la réponse à la haine n’est pas la haine. » La voix de Trintignant met fin au film par « l’amour fait que la vie continue. Le reste n’est que silence ». Cette petite marchandise n’en est que plus précieuse…