Nice-Matin (Menton)

Avec « La plus précieuse des marchandis­es », film d’animation, le cinéaste de « The Artist » révèle une autre facette de son talent, humaniste.

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

ÀCannes, il a déjà séduit avec un film muet en noir et blanc (« The Artist »). Déçu avec un film de guerre (« The Search »). Amusé avec Godard (« Le redoutable »). Ou réjouit avec un pastiche du film d’horreur (« Coupez ! »). Michel Hazanavici­us est de retour sur la Croisette avec « La plus précieuse des marchandis­es », film d’animation où son coup de crayon sur la forme sert à merveille le sujet de fond. « Je dessine depuis mes dix ans, et je n’ai jamais arrêté. Ça restait une activité très intime, même si je faisais le storyboard de mes films. Mais le sujet nécessitai­t des visages d’humeur très particuliè­re, alors je m’en suis occupé. »

Sujet délicat puisqu’il esquisse la Shoah. L’adaptation d’un conte de Jean-Claude Grumberg. Le récit d’un couple de bûcherons polonais, qui recueille un bébé tombé d’un train de déportés. Qui apporte néanmoins de la lumière, un message d’espoir, malgré « nuit et brouillard ».

« C’est une histoire magnifique, qui fait aussi tragiqueme­nt écho à l’histoire de ma famille. Cela dit, j’ai un peu hésité à faire le film, car ma génération n’est pas ouvertemen­t obsédée par la Shoah, et je n’ai jamais été attiré par les ténèbres, davantage par la comédie. Mais ‘‘La plus précieuse des marchandis­es’’, c’est aussi l’idée qu’on peut faire le choix de la vie, malgré tout…»

Et puis la voix, inoubliabl­e, inimitable, de

Jean-Louis Trintignan­t. Dont le ton ne prend que plus d’ampleur, depuis sa disparitio­n. « C’est la plus belle voix du cinéma français, sans doute pour toujours. C’est un vieux monsieur, un homme qui a vécu des tragédies, qui a souffert, pas seulement un acteur. »

La voix de Trintignan­t, pas celle de Depardieu

Un timbre singulier. Et la musique d’Alexandre Desplat pour converser avec le silence. En revanche, Depardieu (un temps pressenti à la place de Grégory Gadebois), s’est tu. Rattrapé par le mouvement #Metoo et les accusation­s portées contre lui.

« Je ressens des sentiments assez contradict­oires à cet égard. Bien sûr, il est dommage de se passer d’un tel acteur mais tout ce qui va dans le sens de la justice et de l’égalité est heureux. Nous vivons une révolution, plutôt douce, avec des moments tranchés. Moi, je ne vais ni défendre ni condamner Depardieu. » Le film d’animation, lui, est sélectionn­é en compétitio­n. Pour la première fois en quinze ans. Là aussi, le signe d’une évolution ? « Moi, je considère que je n’ai pas fait un film d’animation, mais simplement un film. J’apprécie qu’il soit traité comme les autres, et non pas dans une catégorie à part. Car au final, on raconte tous une histoire, à travers des images et du son. Je ne revendique rien au nom de l’animation, mais je suis content pour l’équipe qui a travaillé avec moi d’être en compétitio­n. »

Lorsque Michel Hazanavici­us vient sur la Croisette, on évoque forcément « The Artist », et le prix d’interpréta­tion pour Jean Dujardin. Pas pour la réalisatio­n. Car en dépit de ses nombreuses récompense­s glanées, le cinéaste n’a jamais été honoré sous les ors du Palais.

« ‘‘The Artist’’, c’est un grand souvenir bien sûr, et son accueil a été d’autant plus chaleureux que les spectateur­s partaient avec un a priori dubitatif sur ce film muet en noir et blanc. Mais ‘‘La Classe américaine’’ ou les OSS 117 sont des films assumés et résistent bien au temps. ‘‘The Artist’’, c’était comme un bonbon. Là, avec ce film à la fois beau et délicat, le bonbon est un peu plus poivré. »

Lui ne se voit pas remettre en scène Hubert Bonisseur de La Bath, pour un nouvel OSS 117. Et il a aussi renoncé à son ancien projet sur les frères Guérini à Marseille.

« Ils représente­nt un peu ce que fut l’ADN de la Ve République pendant longtemps, ses collusions. Mais tout cela a changé avec la disparitio­n des Pasqua, Defferre… Et puis le problème avec les films de mafieux, c’est qu’il faut les plus beaux costumes, les plus belles voitures, et ça coûte très cher. »

Pas ce souci-là avec l’animation. Et « La plus précieuse des marchandis­es » est aussi remise en question, à l’heure où l’antisémiti­sme est à nouveau en pleine ascension. Inquiétant ? « Bien sûr, mais moi, je ne sais pas trop quoi faire. C’est quand même très juif de se croire responsabl­e de quelque chose, mais peut-être que ce n’est pas de notre faute à100% , ironise amèrement Michel Hazanavici­us. Il y a toujours un fanatisme lié à l’ignorance, à la peur de l’autre. Mais je crois que la réponse à la haine n’est pas la haine. » La voix de Trintignan­t met fin au film par « l’amour fait que la vie continue. Le reste n’est que silence ». Cette petite marchandis­e n’en est que plus précieuse…

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France