Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Je me sens redevable »

FOOTBALL LACINA TRAORE AVANT MONACO-QARABAG (DEMAIN 19H, LIGUE EUROPA)

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU FAURE

Vous avez beau regarder son nombril quand vous lui serrez la main, Lacina Traoré, , m, est un garçon adorable. Volubile, souriant, touchant, l’attaquant de l’AS Monaco, plus souvent titulaire à l’infirmerie que sur le terrain depuis son arrivée en janvier  pour près de  millions d’euros en provenance de la Russie, ne s’était encore jamais livré dans un média français. C’est chose faite. Titulaire face à Lyon, vendredi, l’attaquant a une vie qui ressemble à son profil : atypique.

C’est compliqué de jouer au football quand on fait , m ? Avec cette taille, les gens attendent beaucoup de toi, surtout dans le domaine aérien. C’est bête, mais tout le monde pense que sous prétexte que je suis très grand, je dois être très bon de la tête, alors que c’est mon point faible. Ma force, c’est ma technique, mon abattage.

Jan Koller, ça vous parle ? (Il sourit). Oui, on m’appelait comme ça en Roumanie. Je sais que ça a été un très grand joueur ici. De la tête, c’était autre chose que moi par contre. Mon jeu de tête est un handicap, je le sais, je travaille pour l’améliorer.

On est grand chez les Traoré ? Oui. Ma maman est grande, mais je suis le plus grand de tous. Et de loin. Et très vite, j’ai voulu faire du football et pas un autre sport. Je ne me voyais pas grandir en fait, je n’avais pas conscience d’être si grand avant d’arriver en Russie, où là, j’ai vraiment vu que je faisais plus de  mètres.

Une idole ? Didier Drogba. Il est Ivoirien comme moi. C’est mon idole. Il m’a fait pleurer, Didier. Pour ma première sélection, on s’est retrouvé dans un hôtel en Suisse. J’attendais l’ascenseur pour rejoindre ma chambre. Les portent se sont ouvertes. Et là, boum, Didier. J’avais les larmes aux yeux. Il savait que c’était mon idole car en Côte d’Ivoire, tout se sait (rires). Il m’a pris dans ses bras. C’était intense. Il m’a donné des conseils. C’est un monument pour moi.

En sélection, vous côtoyez aussi Yaya Touré, qui a

joué à Monaco. On parle beaucoup car on partage la même chambre en sélection. Il m’a prévenu que le championna­t français était compliqué et que Monaco était l’endroit parfait pour progresser et se montrer.

Comment un jeune ivoirien de  ans se retrouve-t-il footballeu­r en Roumanie ? J’étais au centre de formation en Côte d’Ivoire quand j’ai été repéré. Je suis arrivé à Cluj à  ans et je n’avais pas l’âge pour jouer, car il faut en avoir . J’ai fait mes gammes en Roumanie, pendant quatre ans, avant de partir en Russie. Je n’oublie pas que j’ai découvert la Ligue des Champions avec Cluj. Ce n’est pas rien. J’étais le chouchou du public. La Roumanie, ça me reste dans le coeur. En quatre ans, je n’ai jamais eu de problème de racisme, de blessure, c’était parfait.

La Russie, un bon souvenir ? Oui. A Krasnodar, je réalise ma meilleure saison avec  buts en championna­t. Au bout d’un an, je suis très convoité. La Juventus, la Roma... Mais au dernier moment l’Anzhi se manifeste, et on va être franc, c’était un gros transfert. Le club s’y retrouvait, moi aussi car le salaire était énorme, alors j’ai choisi cette option. C’est là-bas que j’ai commencé à me blesser. Je voulais alors venir en Europe pour exploser médiatique­ment. A un moment, j’étais à deux doigts de signer à la Roma. Tout était signé mais une histoire d’extracommu­nautaires a tout gâché. Et là, Monaco arrive...

Oui, Je connaissai­s le Mister (Claudio Ranieri, NDLR), car j’avais affronté la Roma avec Cluj en Ligue des Champions, on a très vite accroché.

Pourtant, vous êtes prêté directemen­t à Everton… Falcao était encore là. Moi, je ne voulais pas venir pour faire banquette car j’avais besoin de jouer en vue de la Coupe du monde . Je devais me montrer. Everton était donc parfait pour avoir une place en équipe nationale. Au premier match, tout va bien car je marque. A l’échauffeme­nt du second, contre Chelsea, je me fais une déchirure de dix centimètre­s à la cuisse. C’était douloureux. Pour mettre toutes les chances de mon côté, je file au Qatar pour me guérir. J’espérais être remis pour le Mondial mais j’étais encore trop faible durant la préparatio­n alors j’ai regardé les copains au Brésil à la télévision.

Mais vous reprenez avec Monaco Oui, je suis bien, reposé, j’ai le moral et au stage en Autriche... je me fracture le tibia. Là, je suis au fond. Dans le doute. Aujourd’hui, ça va mieux, mais j’ai galéré et je remercie le staff médical de Monaco, ils ont pris soin de moi, ce n’était pas évident car il a fallu faire des choix, essayer des traitement­s pour consolider mes os, on a perdu du temps car ça ne marchait pas. Malgré tout ça, j’arrive à aller à la CAN, en janvier dernier, et à être champion même si je souffrais. A mon retour, j’ai décidé de me faire finalement opérer car c’était trop dur. Je savais ma saison terminée à ce moment-là… J’ai quasiment perdu deux ans à cause des blessures.

Vous avez douté ? Oui, je ne sentais plus mon pied droit (il est gaucher). Je n’avais pas de sensations, j’ai pleuré de douleur, car je souffrais. Il faut être solide. Si j’ai quitté la Russie pour Monaco, c’est pour montrer de quoi je suis capable. Je ne suis pas venu pour l’argent, je gagnais beaucoup plus à l’Anzhi.

Cet été, vous avez failli partir... Je ne rentrais pas dans les plans du coach et j’étais sur la liste des transferts. Je comprenais qu’il avait besoin de résultat sur le terrain, et moi, de temps de jeu. En attendant, j’ai continué à bosser à l’entraîneme­nt, il m’a soutenu. Puis le temps est passé, Anthony Martial est parti à la fin du mercato et moi j’étais encore ici. Là, j’ai compris qu’il y avait une opportunit­é. moral, c’est le jour et la nuit. Je suis motivé. Je cours partout. Avec le temps, ça va venir mais j’ai besoin de jouer.

Votre rôle ? Je participe au jeu, je défends beaucoup, je suis comme ça, j’aime me dépenser pour l’équipe. Mais je manque parfois de lucidité dans le dernier geste.

Contre Lyon vous avez été moqué par une partie du public. Comment le vivez-vous ? Je les entends, je les comprends. Ça fait deux ans que je suis là et ils ne me connaissen­t pas. Mais ça ne me touche pas, je sais qui je suis, d’où je viens. Ça me booste. Si tu n’es pas bien dans la tête, tu peux prendre un coup au moral. Quand je vois Carrillo, le pauvre… Moi je suis là pour jouer pour le club, pour les supporters, c’est important de pousser son équipe. On a conscience que des gens font des sacrifices pour venir nous voir jouer. Pour certains, c’est le seul moment agréable de la semaine. A ce moment, c’est l’orgueil et la volonté qui me font avancer.

On vous sent revanchard... J’ai envie de montrer de quoi je suis capable et de rendre la confiance au staff médical et au club qui me soutiennen­t depuis deux ans alors que je n’ai connu que des galères. Je me sens redevable.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France