Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
sismique à haut risque
« Cartographier les failles pour prévenir les grands séismes »
« On a tous été surpris par ce qui s’est passé au Japon en 2011 », reconnaît Mireille Laigle, chargée de recherche au CNRS. Membre du laboratoire Géoazur à Sophia Antipolis, cette scientifique a pourtant consacré sa carrière à l’étude des séismes. « Celui qui a ravagé le Tohoku, il y a quatre ans, avait une magnitude de 9. Sur la base de la sismicité historique de cette région, les experts pensaient pourtant que la magnitude maximale d’un tremblement de terre qui se produirait là ne pouvait dépasser les 8,5. » Ils se trompaient. De quelques dixième à peine. Mais à l’échelle de ces mouvements telluriques surpuissants, la différence est colossale. « Un degré de magnitude en plus c’est trente à quarante fois plus d’énergie libérée », rappelle Mireille Laigle. Avec les conséquences que cela peut avoir : au Japon,
la centrale nucléaire de Fukushima n’y avait pas résisté. « D’où l’importance de récolter un maximum d’information sur les zones de subduction à l’origine de ces séismes, insiste la scientifique azuréenne. Non pas pour prédire quand un tel événement se produira. Ça, personne ne peut le dire. En revanche, on peut prévenir les conséquences qu’aurait un grand séisme s’il venait à se produire. »
Et ce serait déjà un atout énorme pour guider les politiques d’aménagement et de prévention dans les zones à risque.
Un navire américain hypersophistiqué
Voilà pourquoi Mireille Laigle a sauté sur l’occasion lorsqu’elle a appris que le Marcus Langseth allait passer au large de nos côtes méditerranéennes. « Ce navire américain est un outil académique exceptionnel. Il est unique en son genre », assure Mireille Laigle. Son canon à air est capable d’envoyer des ondes à des kilomètres de profondeur sous l’écorce terrestre. Des ondes dont l’écho est ensuite reflété vers la surface par les différentes couches sédimentaires. La longue traîne de capteurs ultrasophistiqués que le Marcus Langseth remorque dans son sillage sur plus de huit kilomètres capture alors ces signaux qui, une fois retraités, permettent aux scientifiques d’établir une cartographie précise des failles sismiques qui tapissent le fond des océans. Ce navire les a déjà presque tous sillonnés depuis sa mise en service en 2008. Mais, il n’était encore jamais venu en Méditerranée. Donc, lorsque Mireille Laigle a appris que les Américains préparaient une expédition pour venir y étudier le volcan de Santorin, elle ne pouvait rater une telle occasion. D’autant qu’elle ne se représentera pas de sitôt. « Le planning du Marcus Langseth est déjà booké jusqu’en 2020. » Ainsi est né le projet Sismed. Mi-décembre, le canon à air surpuissant du Marcus Langseth bombardera les fonds de la mer Égée, là où la plaque africaine plonge sous la plaque eurasienne.
Éviter un Fukushima bis en Méditerranée
« Cette faille est l’origine du plus gros tremblement de terre connu en Europe, explique la scientifique azuréenne. Il s’est produit en 365. On en a retrouvé des traces écrites. Le delta du Nil avait été submergé par un tsunami et les quais de plusieurs ports de Crêtes avaient été soulevés à 9 mètres de hauteur! Or, nous savons que si un tel événement s’est produit, il y a de forte chance pour qu’il se reproduise un jour. Et c’est tout l’Est de la Méditerranée qui pourrait être touchée. » Quand ? Encore une fois personne ne peut le dire. En revanche, grâce au projet Sismed on pourra modéliser les conséquences d’un tel tremblement de terre. « Des confrères tunisiens nous ont d’ores et déjà contactés, confie Mireille Laigle. Ce pays envisage en effet d’installer des centrales nucléaires le long de ses côtes… » On mesure mieux l’enjeu de ces recherches en haute mer : prévenir plutôt que d’avoir à faire face à un Fukushima bis au coeur de la Méditerranée.