Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Le Masque et la Plume, un moment de spectacle! »

L’émission culte du dimanche soir sur France Inter fête ses 60 ans. L’occasion de l’évoquer avec son producteur, Jérôme Garcin

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD (ALP)

Le Masque et la Plume fête ses 60 ans avec, chaque dimanche soir, 1,2 million d’auditeurs. Une prouesse unique que son producteur, le journalist­e écrivain Jérôme Garcin, d’un an son cadet, explique par l’engagement de ses critiques. Une liberté de ton qui rend ce « spectacle » intouchabl­e.

Vous imaginez votre vie sans Le Masque ? Ma vraie passion, cela a toujours été les écrivains, la littératur­e, le papier. La radio faisait d’autant moins partie de mes rêves qu’elle ne faisait pas partie de mon univers familial. En entrant au Masque, je ne suis pas entré dans une émission, je suis entré dans une famille. Je l’anime depuis  ans avec un plaisir intellectu­el et physique. Ma vie je l’ai faite avec mes livres et j’ai un travail dans la presse écrite depuis mes  ans. C’est ça le socle. Le Masque dans ma vie, c’est un moment de spectacle.

Vous écrivez que Le Masque et la Plume

() est une famille d’esprit. Cela veut dire quoi ? C’est comme cela qu’on définit une bande. Ce sont des gens qui se reconnaiss­ent, et j’y inclus les critiques et le public. Cette émission n’est populaire que parce qu’elle se fait devant son public. Nous sommes tous liés par un pacte qui n’est pas secret : le désir de dire la vérité. Cette famille d’esprit n’a aucun tabou et exprime un plaisir d’aimer qui est évidemment à la mesure du principe élémentair­e qu’est celui de blâmer. Le dimanche soir, on ne cache pas le plaisir qu’on a d’être ensemble et de faire survivre un art qui a pratiqueme­nt disparu de tous les médias. Avec le temps, c’est devenu un peu le banquet d’Astérix à la fin des albums.

Le Masque demeure l’émission de radio la plus prescriptr­ice en termes de consommati­on culturelle. Les éditeurs et les producteur­s ne vous appellent jamais pour faire pression ? Jamais ! Je fais mes programmes tout seul. La plupart de mes livres sont publiés chez Gallimard ; si je vous faisais la liste des livres Gallimard qui ont été laminés au Masque, vous seriez surpris. Si ce n’est pas la preuve de notre indépendan­ce… D’autre part, les éditeurs et les producteur­s ont compris une chose : que l’on dise du bien ou du mal d’une pièce de théâtre, ils savent que cela remplit la salle pendant  jours. Chaque livre dont on parle, en bien ou en mal, c’est   ou   exemplaire­s de vendus dans les jours qui suivent. Plus il y a de débat, plus on approche de la vérité. Et même si c’est parfois excessif, c’est ce débat qui donne envie à l’auditeur de juger sur pièce. Je pense qu’à la télévision et à la radio, plus on diffuse un robinet d’eau tiède en disant du bien de tout, moins c’est prescripte­ur !

Vous racontez comment des comédiens, qui étaient des amis, vous ont rayé de leur vie à cause d’une critique défavorabl­e… Preuve que ce n’étaient pas des amis ! On ne peut pas porter la tunique du Masque et la Plume et faire des mondanités. Une des grandes vertus de cette émission, c’est qu’elle m’a coupé très tôt de toute vie sociale. Je ne dîne pas avec les comédiens, je ne déjeune pas avec les écrivains. Il se trouve que je m’en accommode très bien car je suis un sauvage dans ma vie réelle. Je n’aurais pas la force de dîner avec tel ou tel le mercredi et de l’entendre moquer le dimanche soir. Je ne suis pas un bourreau !

On a aussi l’impression, à travers votre récit, d’avoir parfois à faire à des divas insupporta­bles, non ? Mais cette émission, c’est du spectacle ! Au début, on s’ennuyait. Un jour en régie, les critiques se sont dits : « Soit on quitte Le Masque, soit on y reste et on fait du spectacle. » Cela veut dire jouer un rôle jusqu’aux confins de la mauvaise foi. Oui, pour reprendre votre expression, Bory faisait des numéros de diva, mais il disait des choses géniales, passionnan­tes ! Aujourd’hui, quelqu’un comme Xavier Leherper, flamboyant et excessif, fait parfois des numéros de diva. Ce spectacle rend plus populaire l’exercice critique. Si j’enlevais ce que certains nous reprochent, ce serait mortel et l’émission n’existerait plus !

Vous refusez que l’émission soit filmée, comme c’est la mode à la radio. Pourquoi ? Je n’ai toujours pas compris ce que faisait une caméra dans un studio de radio… Je pense que la force de la radio, c’est qu’elle ne se voit pas. Ce que les gens demandent, c’est de venir chez eux, je dirais presque dans leur intimité. Il faut leur laisser la liberté d’imaginer la tête, les vêtements, l’attitude des critiques. Donc je refuse qu’on filme Le Masque et la Plume. Chaque fois que j’ai discuté avec des patrons de chaînes télé qui souhaitaie­nt diffuser l’émission, ils commençaie­nt par m’expliquer qu’ils étaient tous diffuseurs de films, et qu’il convenait donc de prévoir un Masque sans critique de cinéma. À la télé, on ne peut pas dire qu’une daube est une daube !

1. Nos dimanches soir, Grasset, 299 pages, 19 tous les dimanches, à  heures, sur France Inter. Journée spéciale le vendredi  novembre.

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(DR) Jérôme Garcin, un producteur sans concession.

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