Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Molenbeek miné
Creuset de djihadistes sanguinaires, la commune de Molenbeek cristallise toutes les peurs, tous les clichés. Les attentats de mardi la plongent à nouveau dans le désarroi
Le canal de Charleroi pavoisé de moulins à vent aux couleurs acidulées marque la frontière entre Bruxelles-ville et Molenbeek la mal famée. Façades typiques en briques rouges, pavés luisant sous la bruine, imposant commissariat à gauche, église Saint-Jean Baptiste à droite, difficile d’imaginer, à première vue, que la commune du nord-est de Bruxelles est devenue une pépinière à terroristes à la renommée mondiale. Rachid accompagne ses trois enfants à l’école en poussant sa bicyclette faute de métro. Il s’énerve: « À cause de ces abrutis qui viennent se cacher ici, cela rejaillit sur tout le quartier. Alors que je peux vous dire qu’il fait bon vivre dans cette commune. » Sur la place, la compagnie des « Nouveaux Disparus », la mal nommée, a planté son chapiteau. Mais l’ambiance n’est pas à la fête à Molenbeek. D’Abdessatar Dahmane, impliqué dans l’assassinat du commandant Massoud en 2001, à Salah Abdeslam, ordonnateur des massacres parisiens, en passant par Abdelhamid Abaaoud, une dizaine de jeunes originaires du quartier ont gagné leurs galons de terroristes sanguinaires. Molenbeek, 30000 habitants, plaque tournante du djihadisme? Ghetto dangereux? Banlieue perdue? Vue des cités françaises, l’image prête à sourire. Ici pas de barres HLM, pas de zones de non-droit mais des quartiers ouvriers hétérogènes, non dénués de charme par endroits. Au-dessus des halles de l’ancienne douane, vestiges d’industries florissantes, certains promoteurs construisent des résidences de standing. A pied, il faut à peine quinze minutes pour être dans le centre historique de Bruxelles. Au lendemain du carnage de l’aéroport et de la station de métro Maelbeek, six adolescents d’un lycée professionnel patientent avant d’aller en cours. Tous sont d’origine marocaine, l’immi- gration dominante ici qui remonte, mais ils n’en sont pas très sûrs, aux années 60. « Nos profs ont du mal à arriver ce matin à cause des problèmes de transport » , explique Amin qui jette un regard distancié sur les jeunes dévoyés de sa commune: « Beaucoup ont eu des problèmes judiciaires, ils étaient en décrochage scolaire. Ils manquaient de passions, d’espoir. » « On leur a lavé le cerveau » , renchérit Walid. En remontant la rue des Quatre-Vents [ci-dessous], dernière planque d’Absdelsam, on croise Mustapha, chauffeur, 44 ans: « Les Français pensent que les terroristes viennent d’ici, mais ils sont partout: en France, en Hollande, en Allemagne. Ce sont des jeunes qui ont manqué de suivi par leurs parents et par l’État. » Sous-entendu, personne n’est à l’abri et certains sont mal placés pour donner des leçons aux autorités belges.
La moitié des jeunes sans emploi
Si Molenbeek a fourni beaucoup de jeunes d’origine marocaine à la cause jihadiste, chacun admet, même l’extrême droite flamande, que les Belges partis en Syrie proviennent autant de Wallonie et que des Flandres. Pour une fois, pas de jaloux entre les deux communautés rivales. Les prosélytes salafistes de Sharia4Belgium considérés comme les recruteurs les plus actifs sont basés à Anvers, ville flamande. Et ils trouvent chez des jeunes perdus de la main-d’oeuvre zélée et bon marché. Une jeunesse en difficulté que côtoie au quotidien Denis, 36 ans, qui travaille dans une association de Molenbeek: « Ici, 50 % des jeunes n’ont pas d’emploi. Ils se heurtent à plein de problèmes: des lacunes scolaires énormes alors que le tertiaire en Belgique nécessite des compétences et souvent la maîtrise de trois langues. Il y a aussi les loyers qui ne cessent d’augmenter. Il faudrait un suivi individualisé pour ces jeunes mais comme partout, les moyens diminuent. »
La voile gagne du terrain
La commune de Molenbeek est en proie à de graves difficultés financières. Seul le trafic de drogue prospère, notamment dans la rue de Ribaucourt. Beaucoup de Bruxellois accusent l’ancien maire de gauche, Philippe Mourreaux, d’avoir favorisé le repli identitaire. « C’est complètement islamisé » , tranche Dominique Lootens, président du groupe Vlaams Belang (extrême droite) au Parlement belge. Des salles de prières sont tenues par des fondamentalistes. Le voile gagne du terrain. Il suffit de déambuler dans la commune. « Il faut que ces femmes se rendent compte que, dans un climat pareil, ça va devenir une source d’angoisse. Angoisse fondée ou non », explique Alain, 59 ans, cadre supérieur. Tout en précisant qu’il n’y a pas de tension entre communautés à Bruxelles. Firmin, 44 ans, Zaïrois qui vient de déposer ses enfants à l’école, le confirme. Il ne croit pas que les attentats puissent remettre en cause « le vivre-ensemble bruxellois. » Lui, comme l’ensemble des interlocuteurs, promet de ne rien changer à leurs habitudes. La vie continue à Molenbeek. Avec le douloureux sentiment que la bonne nouvelle de l’arrestation d’Abdeslam a vraiment été de courte durée.