Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Dans l’ombre des marchés, la récolte des glaneurs
Pour des raisons économiques ou simplement par principe, ils sont de plus en plus nombreux à récupérer les fruits et légumes abîmés et invendus ÉVÉNEMENT
Ils se font discrets. À tel point qu’une commerçante assure que « personne ne récupère jamais » ce qu’elle ne peut pas remballer. Mais une fois les stands pliés, ces oiseaux timides viennent picorer les cagettes abandonnées. « En général, il faut attendre que les commerçants soient partis, ils n’aiment pas nous voir fouiller, surtout devant la clientèle ». Le regard ourlé dans un sourire, Philippe explique qu’il vient « glaner » 2 à 3 fois par semaine, « selon le temps ». Ce bonhomme de 71 ans dit connaître les horaires et les petites habitudes de chacun. À force d’observation.
Gaspillage
Pour Maxime, un solide gaillard producteur de légumes, « ils sont de plus en plus nombreux, surtout des personnes âgées, qui n’arrivent pas à finir les fins de mois il. Philippe assure qu’avec sa retraite, il pourrait « vivre ordinairement », sans passer le temps qu’il consacre au glanage. Il prétend « ne pas lutter contre le gaspillage en France » , mais c’est bien un certain énervement qui l’amène ici. « Dès que les aliments sont moisis, abîmés, ils sont invendables, alors qu’il suffit d’un simple coup de couteau. On n’y peut rien, c’est le système du commerce qui est comme ça ».
», pense-t-
Tout transformer
Ce sont, en revanche, les fins de mois difficiles qui ont poussé Valentin à franchir le pas, il y a 6 mois. Et « la gêne d’aller aux Restos du coeur ». À 48 ans, sa pension d’invalidité ne suffisait pas à le nourrir, d’autant que « les légumes coûtent très cher ». Tomates, céleri, laitues, oranges… La ré- colte a été bonne aujourd’hui, il a de quoi se nourrir une semaine, avec le « pain » qu’il se fait. S’il ne mange que rarement du poisson ou de la viande - trop chers - sa formation de cuisinier lui permet de « tout transformer » . Une chance, estime-t-il : « Il faut avoir des notions de désinfection, faire parfois quatre bains de lavage, au vinaigre blanc ou à la javel… Pour quelqu’un qui vit dans la rue, c’est impossible ». Tous deux évoquent une relation compliquée avec les commerçants. « J’ai l’impression d’être une fourmi dans leurs pattes », s’attriste Valentin. « Nous ne sommes pourtant pas des voleurs ». Au contraire, une certaine complicité peut naître à la longue, selon Philippe. « Plus loin, il y a un type qui me prépare de la ratatouille. Ça me gêne, alors je lui propose un coup de main pour ranger ».