Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

L’humanité d’une tragédie

« Nous sommes le trait d’union avec leurs proches disparus »

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Dans son salon, à Téhéran, Medhi a vu sur le massif des Trois Évêchés. Cet Iranien a accroché au mur de sa maison un écran relié directemen­t à la webcam installée au pied des lieux du crash. Milad, le fils de Medhi était sur le vol 9525 de la Germanwing­s. Journalist­e, passionné de foot, il rentrait de Barcelone où il avait couvert le Clasico. Il n’a jamais revu sa terre natale. Milad est la seule victime de l’accident enterrée dans le petit cimetière du Vernet, un village des Alpes-de-Haute-Provence planté an contrebas de ce massif des Trois Évêchés que Medhi contemple depuis Téhéran. Jusqu’au jour où cet Iranien viendra rejoindre son fils, ici, au Vernet. « Il a voulu un caveau à deux places pour pouvoir être inhumé à ses côtés » , soupire Joëlle, l’épouse du maire du village, François Balique. Pour l’heure, c’est elle qui prend soin de la tombe de Milad.

Des rires d’enfants dans la montagne

En signe de reconnaiss­ance, chaque matin et chaque soir, Medhi lui adresse par SMS ses prières du jour. Qu’importe si Joëlle ne lit pas l’arabe. Qu’importe si elle ignore qui a bien pu lui envoyer cette housse de coussin, ornée d’une tête-de-chat brodée, qu’elle découvre au courrier du matin. « Encore un cadeau, sourit-elle. Ça vient d’une famille. » L’une de ces familles en pleurs qui ont trouvé un peu de réconfort au coin de sa cheminée, au milieu de ses cinq chats. Joëlle leur a spontanéme­nt ouvert sa porte, comme de nombreux habitants de la vallée. « Medhi dit que nos enfants sont désormais les siens », sourit l’épouse du maire. Des liens, quasi familiaux, se sont noués par la force de ces événements tragiques. Comme ce jour où Jean-Marcel a joué les « papys » pour les filles de Svetlana. Ancien prof au collège de l’Ariane, ce retraité niçois partage son temps entre Colomars et Le Vernet où il a rencontré son épouse il y a soixante-dix ans. Cet été, il a accompagné Svetlana jusqu’au lieu du crash. Cette Espagnole d’origine ukrainienn­e voulait « montrer à ses filles où était leur père », témoigne Jean-Marcel. Son regard se brouille en revoyant cette veuve, à genoux dans la montagne, enlacer de toute sa tendresse ses deux enfants de 3 et 5 ans. « C’était un moment terrible », se souvient Jean-Marcel. « Et puis, papy les a emmenées jouer », poursuit le retraité niçois. « On a fait une partie de cache-cache derrière les sapins avec les petites. Du coup, on n’entendait plus que leurs rires d’enfants dans la montagne. »

« Tout naturellem­ent »

La journée s’est achevée autour d’une grande table et d’une soupe au pistou. « Svetlana a réussi à sourire », souffle Joëlle, le sentiment d’avoir accompli sa mission : « Il fallait absolument transforme­r la tragédie en harmonie. » Sécher les larmes de ces collégiens allemands d’Halternam See qui ont perdu plusieurs de leurs camarades tirés au sort pour partir en voyage scolaire. Réconforte­r ces parents marocains rescapés de ce drame qui leur a pourtant pris l’essentiel. « Leur fils revenait de Barcelone où il s’était marié. Les parents n’avaient pas pu prendre l’avion parce qu’ils n’avaient pas de papiers en règle. » « Bien sûr, on ne peut pas porter sur nos épaules le deuil de 150 familles, reconnaît Joëlle. Pourtant nous sommes leurs sentinelle­s. » « Nous sommes le trait d’union entre eux et leurs proches », acquiesce Max Tranchard, un autre habitant du Vernet. « On n’a rien demandé à personne, mais il faut bien que l’on assume », résume le maire de Prads, Bernard Bartolini. Ce devoir de solidarité, c’est la vallée qui l’a endossé dès le jour du crash. « Sans poser de question, tout naturellem­ent, souligne Florence Michel, dont le restaurant à Selonnet s’est transformé en point de collecte. Chacun amenait ce qu’il pouvait, un cake, des couverts… » En retour, les autorités françaises, mais aussi espagnoles et allemandes, multiplien­t les gestes de reconnaiss­ance. « Ils distribuen­t des médailles à tour de bras », souffle Florence. Comme bien d’autres habitants de la vallée, elle ne goûte guère ces hochets de la vanité. Jean-Jacques, qui tient l’auberge du Moulin au Vernet, a même refusé l’invitation de la Lufthansa. La compagnie allemande a invité 1 000 bénévoles et secouriste­s au Stade de France. C’était le 13 novembre dernier, le jour des attentats! « Un barbecue, ici, dans la vallée aurait suffi », sourit Florence pour qui le mot générosité rime avec simplicité.

 ??  ?? Joëlle, l’épouse du maire du Vernet, François Balique, entretient la tombe de l’unique victime du crash enterrée dans le village.
Joëlle, l’épouse du maire du Vernet, François Balique, entretient la tombe de l’unique victime du crash enterrée dans le village.

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