Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Le petit a bien grandi

FOOTBALL ÉQUIPE DE FRANCE / PAYS-BAS - FRANCE, DEMAIN À 20H45 Joueur de promotion d’honneur il y a encore six ans, N’Golo Kanté est aujourd’hui leader de Premier League avec Leicester et bizut en équipe de France. 1,69 m de folie et de timidité

- MATHIEU FAURE

Il fait partie de cette fameuse nouvelle génération mais n’en a ni la dégaine, ni les codes. A 24 ans, N’Golo Kanté n’a pas de tatouage, de boucles d’oreilles ou de coupe de cheveux excentriqu­es. Mieux, il dit « bonjour » quand il arrive et « au revoir » lorsqu’il s’en va. Le tout d’une voix calme et posée qui a du mal à cacher sa timidité naturelle. Lundi, le milieu de terrain de Leicester City, surprenant leader du championna­t anglais, a découvert Clairefont­aine pour son premier rassemblem­ent avec l’équipe de France de football. Sur place, le garçon avait des coeurs dans les yeux et un peu d’humidité. Il avait ce regard des enfants au moment des fêtes de Noël. Il faut dire qu’il y a six ans, le milieu de terrain de poche - 1,69m - évoluait en PH (Promotion d’Honneur) à Suresnes, en banlieue parisienne. Depuis, le garçon n’a pas grandi mais sa carrière a décollé. Dans le sillage de son équipe de Leicester où tout le monde marche sur l’eau (Vardy, Mahrez, Ranieri), Kanté s’est fait un nom en moins d’une saison outre-Manche. Récemment, Sir Alex Ferguson a parlé de lui comme du « joueur de l’année en Angleterre ». Rien que ça. À sept journées de la fin, les Foxes ont 5 points d’avance sur leur dauphin, Tottenham. Incroyable.

Ranieri doutait de lui

Récemment, le journal britanniqu­e Mail Online, via la chronique d’Alan Smith, a avoué que Claudio Ranieri en personne, n’était pourtant pas très chaud à l’idée de recruter Kanté l’été dernier. Au départ, l’ancien coach de Monaco voulait le Niçois Papy Mendy. Mais devant les rapports dithyrambi­ques de Steve Walsh, responsabl­e recrutemen­t de Leicester, Ranieri s’est laissé convaincre. Six mois plus tard, l’Italien a changé son fusil d’épaule et l’a fait savoir à Walsh, au point de lui dire, toujours selon Mail Online : « Steve, n’écoute plus jamais ce que je dis ». Sur le terrain, le petit milieu marche sur le Royaume de Sa Majesté, semaine après semaine. En Angleterre, où l’on adore user des comparaiso­ns, on dit de Kanté qu’il a le coffre de Claude Makelele, la technique de Patrick Vieira et le coup de rein de Jean Tigana. Le triumvirat du bonheur. Drôle quand on sait qu’en juillet dernier, alors qu’il hésitait entre Leicester et Lyon, Jean-Michel Aulas avait eu le nez creux en par- lant du milieu de terrain : « Pour Kanté, est-ce qu’il préfère jouer dans un club de bas de tableau en Angleterre (Leicester) ou jouer la Ligue des Champions avec l’OL ? Il faut lui demander » . Pas besoin de lui demander. L’OM, aussi, est passé à côté du garçon alors que ce dernier était très attiré par la Canebière. Sauf que Caen, où évoluait le milieu depuis 2013, estimait que son joueur méritait plus que les 5 millions d’euros proposés par Vincent Labrune. Un refus qui avait incité l’OM a bousculé publiqueme­nt le Stade Malherbe de Caen et son directeur sportif Xavier Gravelaine, qualifié avec ironie de « Monchi du Calvados » (en référence au directeur sportif du FC Séville, considéré comme l’un des meilleurs à son poste) tout en souhaitant « à Caen, à son directeur sportif et ses fines stratégies d’atteindre leurs objectifs de cession de joueurs » . Moralité, Kanté signera en Angleterre pour 9 millions d’euros. Qui aurait cru que le petit gars de Suresnes jouerait un jour en Angleterre ? Personne. Kanté est né dans le Xe arrondisse­ment de Paris en 1991. Il a huit frères et soeurs. Son père est éboueur et sa mère femme de ménage. Chez les Kanté, des Franco-Maliens, on partage surtout de l’amour. Très vite, la famille s’installe à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Comme beaucoup de mômes de son âge, N’golo se met au football. Son idole ? Ronaldo, le gros. Il prend sa première licence de football à Suresnes, il y sera tout le temps surclassé. Il faudra attendre 2010 pour voir Kanté s’envoler. Il a 19 ans et rejoint Boulogne-surMer. A l’aide de l’un des dirigeants du club suresnois, Jean-Pierre Perrinelle (aujourd’hui disparu), il signe une licence amateur dans le Nord. Grâce aux contacts du dirigeant et au passage de son fils Damien entre 2006 et 2010, N’Golo rallie donc l’US Boulogne. Sur place, il vit en auberge de jeunesse et ne mange pas tous les jours à sa fin.

BTS Comptabili­té

Ses débuts sont difficiles dans le Nord, Kanté joue en réserve, alors en DH, et participe à l’accession en CFA 2 sans être un réel titulaire, mais en bossant. Surtout, il mène une double vie puisqu’il suit des cours pour valider un BTS Comptabili­té. « Il n’avait pas d’horaires aménagés pour suivre ses cours et s’entraîner avec nous. Alors à 16h30, il prenait sa trottinett­e à l’internat ou venait nous rejoindre en footing » , confie Christophe Raymond, son entraîneur dans le Pas-de-Calais, à Ouest France. Naturellem­ent, il décrochera son BTS et aussi une place de titulaire en équipe fanion qui évolue en National. Kanté bosse et ouvre ses esgourdes. C’est une éponge, il écoute, ne dit rien et applique les consignes sur le terrain. Sa timidité, parfois maladive, étonnera d’ailleurs tous ses coéquipier­s. Une timidité mêlée à une foi inébranlab­le. « On pouvait passer dix minutes en voiture sans qu’il prononce un seul mot ! J’ai dû le voir éclater de rire deux fois. Lors des mises au vert à l’hôtel, il me demandait si ça ne me dérangeait pas qu’il prie » , se rappelle Eric Vandeabeel­e, son coéquipier le plus proche à Boulogne-sur-Mer, toujours dans les colonnes de Ouest France. Qui dit pieux, dit superstiti­eux. C’est pourquoi le milieu porte à chaque match sous son short un dessous fétiche jaune et bleu, les couleurs de Suresnes. En trois ans, le garçon est passé sans encombre de la PH au National. Il ne va pas s’arrêter là. Durant l’été 2013, il arrive gratuiteme­nt à Caen alors en Ligue 2. Là aussi, il est au-dessus des autres. Idem l’année suivante en Ligue 1. Plus la route s’élève, plus il garde le rythme car le milieu relayeur a une qualité rare : il est aussi endurant qu’explosif. Il court partout, tout le temps, gratte des ballons, dribble, oriente, harcèle, dynamite, oriente. Incroyable de voir autant de qualités dans un si petit corps. Un garçon discret dans la vie mais très efficace sur le pré. Son entraîneur à Caen, Patrice Garande, parle de lui comme d’un « petit bonhomme » . « Il ne fait pas de bruit, il arrive avec son petit sac à dos, on croirait un écolier qui fait sa rentrée. Mais il a une vraie personnali­té. C’est un garçon bien élevé, respectueu­x des autres, respectueu­x du staff. Sa timidité n’est pas un problème, même si elle se ressent parfois sur le terrain en début de match » , confiait-il en 2013. Après une seule saison en Ligue 1, l’an dernier, Kanté a rejoint l’Angleterre en juillet dernier. À l’époque, il ne se doutait pas que huit mois plus tard il serait en passe d’être champion d’Angleterre et dans les 23 Bleus à quelques encablures de l’Euro 2016.

 ?? (Photo AFP) ?? N’Golo Kanté, le dernier arrivé en équipe de France avec, en vue, l’Euro .
(Photo AFP) N’Golo Kanté, le dernier arrivé en équipe de France avec, en vue, l’Euro .

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