Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
« L’âme de Milad habite ces cimes »
Depuis un an, la tasse à thé de Milad est restée posée sur une table du salon de l’appartement de Téhéran. Le jeune homme, brun au sourire ravageur, appréciait ces moments en famille. Milad Hojjatoleslami, 30 ans, journaliste sportif, est l’une des 149 victimes du crash de la Germanwings. Mahshid, sa soeur de 28 ans, a accepté de témoigner. Pour que ce vol dramatique, mais plus encore ses passagers, ne tombent pas dans l’oubli. Mahshid, 28 ans, est une belle jeune femme iranienne au phrasé doux, aux mots ciselés. « Milad était mon grand frère, mon âme soeur, comme un jumeau. En même temps que lui, j’ai perdu mes rêves » , témoigne-t-elle en anglais. Elle a fait le voyage cette semaine en France avec ses parents, Mehdi, 65 ans et Maryam, 55 ans, et une partie de sa famille.
« Déchirant et réconfortant »
Après les commémorations d’hier matin, ils se sont serrés dans le froid montagnard du col de Mariaud, face au massif des TroisEvêchés. Sur les lieux du crash. « C’est Milad que nous sommes venus trouver ici. C’est à la fois déchirant et réconfortant. J’ai le sentiment que mon frère est en vie dans ces montagnes. Son âme habite les cimes. » L’histoire de Milad, c’est celle d’un journaliste sportif parti d’Iran avec trois confrères et amis pour venir couvrir une série d’événements sportifs en Europe. Dont un match, en Autriche, de l’équipe iranienne de football. « Milad et son ami, Hossein Javadi, ont alors décidé d’aller voir le Classico Barcelone-Real Madrid en Espagne. Les deux autres n’ont pas suivi. Ils trouvaient cela compliqué. » La dernière fois que la jeune femme a pu joindre son frère, c’était la veille de sa mort. « Nous nous sommes contactés en vidéo grâce à l’appli Viber. On a beaucoup ri. Il était enthousiaste du match. Il m’a chambré gentiment, comme toujours. On s’adorait. J’entendais la voix d’Hossein dans la chambre. Ils devaient prendre un avion le lendemain. » Le 24 mars 2015, Milad et Hossein embarquent sur l’Airbus A 320 de la Germanwings, compagnie lowcost de la Lufthansa, à destination de Düsseldorf. Mahshid raconte la suite. « Mon frère m’a envoyé un message en me disant qu’il serait injoignable parce qu’il rentrait dans l’avion. C’est le dernier que j’ai reçu. Ma famille et moi pensions qu’il était sur un vol vers l’Autriche. En fait, ils n’avaient trouvé que celui-ci. Vers midi, mon père m’a annoncé qu’un avion venant d’Espagne s’était écrasé en France. » Le patriarche interroge sa fille pour savoir sur quel vol son fils est monté. Elle le rassure. Elle pense Milad dans un autre avion. Le regard profond et embué de Mahshid se perd dans le vide. « C’était mon frère, alors il était forcément en vie. Il ne pouvait mourir. »
Seule victime enterrée au cimetière du Vernet
Les heures passent, et pas de nouvelles de lui. Son téléphone est muet. La famille multiplie les appels aux amis, à la compagnie. Ils vogueront de faux espoirs en désillusions. Le lendemain midi, la terrible nouvelle tombera abruptement, par Internet. « Depuis un an, mon père, ancien journaliste lui aussi, est un fantôme. Milad était le seul fils. Sans lui, mon père survit. Il est tellement dans le chagrin qu’il ne me voit même plus. » Ces mots, bouleversants, sont prononcés avec une douceur infinie et des yeux plein de larmes. Incapable de se concentrer, en dépression, Mahshid a été licenciée de son poste de comptable à la suite du crash. Son frère est aujourd’hui la seule victime enterrée au cimetière du Vernet. « C’est terrible, mais nous n’avions aucune partie de son corps intacte. Nous voulions qu’il soit ici complètement. Et puis les villageois, le maire nous ont tellement aidés, aimés, qu’il est ici bien entouré. » Mahshid s’inquiète. Une fois l’assistance de la Lufthansa éteinte, la famille n’aura plus les moyens financiers de venir en Europe facilement. Elle nous quitte, sur ces mots: « Je vous souhaite de toujours rentrer à la maison, pour que votre famille puisse vous retrouver. »