Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Eric Sommer: «Me garder jusqu’à ce que j’en meure»

Après quatre ans passés dans une prison caribéenne pour un meurtre qu’il niait, le Cagnois Eric Sommer a dû plaider coupable d’homicide involontai­re pour retrouver sa liberté. Récit exclusif

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

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Le gardien m’a

dit bienvenue

à Alcatraz ” ‘‘

J’ai eu affaire à

une corruption

sans limites ”

J’ai encore pris des cours de survie! Après ça, on est blindé. » Le 12 mai 2012, Eric Sommer mouille dans une baie de SainteLuci­e (Caraïbes) quand un malfrat reconnu tente de monter à bord de son bateau. La brève altercatio­n prend de folles proportion­s lorsque la police vient le cueillir pour meurtre quelques heures plus tard. Une descente aux enfers… Vendredi dernier, et sans jamais avoir été jugé, le marin était libéré de la prison de Sainte-Lucie grâce à un accord. En plaidant coupable d’homicide involontai­re, la juge estimait que sa peine avait été purgée durant sa détention provisoire. « Au bout de quatre ans je ressemblai­s à un cafard albinos. Si j’étais resté làbas, je serais mort. » Libre et de retour à Cagnes, « chez les normaux », Eric Sommer a accordé sa première interview à NiceMatin, hier. Le moral est en dents de scie et son check-up médical en attente, mais le gaillard reste optimiste et souriant après la plus longue escale de sa vie. Récit glacial d’un personnage solaire. Vous avez été libéré après des aveux de culpabilit­é. Ressentez-vous le besoin d’exprimer votre innocence? Je le suis. Je n’ai jamais quitté mon bateau, je n’ai poussé personne à l’eau. J’ai poussé le gars sur mon pont. Je lui ai demandé de partir, il est monté sur le bord de mon bateau et il a sauté à l’eau. Il est remonté dans l’annexe, je me suis mis devant et je l’ai empêché de monter. C’est tout. Je suis rentré dans mon bateau sans savoir qu’il y avait un gars en train de patauger à côté. Je me demande ce qu’il faisait et pourquoi il n’a pas essayé de remonter? Après, comme l’a dit la fille qui était avec lui dans sa déposition [elle a témoigné en faveur d’Eric avant de disparaîtr­e, Ndlr], il venait de se boire une bouteille de rhum à deux.

Vous connaissie­z ce type? Je l’avais croisé deux jours avant au supermarch­é et il avait essayé de me prendre un billet de  dollars dans la poche. Je lui en ai donné . Deux jours après, je le retrouve sur mon bateau… En prison, il y a des gars qui m’ont dit que ce gars-là avait tué des gens en Martinique.

Quelques heures après, la police vous embarque… Ils m’ont jeté au fond de l’annexe, ils m’ont tous sauté dessus. Un flic a pris son M (fusil d’assaut) et l’a mis au-dessus de ma tête.

Sans explicatio­ns? Non. J’ai été embarqué et menotté avec le collier électrique. Le soir, j’ai demandé à un policier de desserrer les menottes. Il les a resserrées un peu plus! Mes mains étaient violettes et j’ai eu mal aux poignets pendant un mois et demi. Je suis resté dix jours au commissari­at et tous les soirs, j’ai vu les gens arrêtés se faire tabasser à coup de câbles électrique­s, de battes, de pieds, à plusieurs. C’était la normalité.

Quelle a été votre première réaction en entrant en prison? Le premier gardien que j’ai croisé m’a dit : « Welcome to Alcatraz. Ici, on sait quand on rentre mais

on ne sait pas quand on ressort. » Et avec les codétenus? Je suis resté dans une cellule une semaine et quand j’ai intégré la deuxième on m’a étranglé, je me suis évanoui. Tout ça pour me voler trois paquets de biscuits et deux paquets de cigarettes. J’ai subi quelques agressions, j’ai été brûlé au cou et j’ai des cicatrices. C’est les aléas de la prison.

L’intimidati­on était permanente? Les gens se plantent pour un rien, pour une discussion, un bout de cigarette. Il y avait des lames de rasoir partout, du fil de fer, des barres, n’importe quoi. J’ai vu énormément de gens se faire piquer au début.

Avez-vous vu des morts? Non, par contre j’ai vu des gens mourir alors qu’ils attendaien­t leur procès.

Comment avez-vous vécu l’absence de jugement? Vos  reports d’audience… À chaque fois, on me disait que la prochaine serait la bonne. Mais je suis marin, j’ai l’habitude. Un marin a de la patience. Tu ne me peux rien faire, de toutes façons. Tu peux juste te faire du mal. Ce qui m’a sauvé, c’est les livres. J’en lisais trois par semaine et je m’évadais en écoutant de la musique. Et des Français venaient me rendre visite une demi-heure par mois.

La peur était omniprésen­te? Il y a jusqu’à neuf personnes dans une cellule et pas de lumière. Le soir, si ça part en bagarre… On peut y rester. C’est chacun pour soi dans cette galère.

Vous étiez craint? Oui, c’est ce qu’ils ont dit à la fin quand j’ai changé d’unité et que je me suis remis à faire du sport [la dernière année, Ndlr]. Je ne me taisais plus, je leur répondais. Parce qu’il y en a marre de se faire insulter tous les jours.

Aviez-vous la notion du temps? On la perd. Quatre ans, j’ai eu l’impression que c’était cinq minutes en fait. T’es sous pression en permanence. Tu ne dors pas.

Aviez-vous conscience de l’émoi autour de votre cas en France? Oui, mais pas à ce point-là. Hier, il y a des gens qui m’ont appelé des quatre coins de France et qui pleuraient au téléphone.

Le président de la République est même intervenu en votre faveur. C’est ce qu’il a fallu pour arriver à les faire bouger. Sinon, j’aurais probableme­nt fait sept ou huit années avant d’avoir mon procès. C’était le but désiré, me garder le plus longtemps possible jusqu’à ce que j’en meure.

Vous n’avez jamais perdu ce sourire? C’est ce qui les énervait le plus. Il n’allait pas me l’enlever! Je l’ai depuis que je suis petit et je ne veux pas l’enlever de ma figure.

Votre bateau est toujours aux Antilles… Oui et je vais essayer de le récupérer. Protinus, c’est ma vie, c’est un bateau que j’ai depuis  ans, c’est ma maison. J’ai rien à terre. C’est une épave flottante mais on va se débrouille­r.

Appréhende­z-vous de le retrouver sans votre chien Idéfix, tué en mai  ? On a empoisonné mon chien. Je l’ai appris ici. Là-bas, on m’a dit qu’il était mort de vieillesse [son père, André, lui a caché volontaire­ment, Ndlr]. J’aurais peut- être mal réagi…

Vous aspirez à reprendre la même vie? On naît marin, on ne devient pas marin. Un jour, une vieille navigatric­e en Afrique du Sud m’a serré la main et m’a dit : « Ça fait plaisir de rencontrer des gens qui ont de l’eau de mer qui coule dans les veines. »

Vous reprendrez des risques… Une vie d’aventures, c’est une vie où on marche sur un fil. Après un quart de siècle à naviguer sur les océans, il m’est arrivé des histoires. Mais, cette fois-ci, j’ai eu affaire à une corruption sans limites. Sainte-Lucie n’a même pas signé la Déclaratio­n des droits de l’Homme! Mais c’est ça ou on reste à la maison. J’ai qu’une vie et j’ai envie de connaître ma planète.

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 ?? (Photo Eric Ottino) ?? Ses dreadlocks ont blanchi, mais le sourire de « Nounours » a survécu à l’enfer.
(Photo Eric Ottino) Ses dreadlocks ont blanchi, mais le sourire de « Nounours » a survécu à l’enfer.

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