Vincent Perez : « Seul dans Berlin, le film de ma vie » Rencontre

Pas d’erreur, l’acteur est à Nice pour Les Liaisons dangereuses, qu’il joue encore ce soir, avec brio, au TNN. Mais sa troisième réalisation lui tient à coeur, que l’on verra en fin d’année

Le roman épistolaire de Choderlos de Laclos, chef-d’oeuvre de cruauté aux stupéfiants accents de modernité, ne lui laisse aucun répit. Vincent Perez virevolte trois heures durant dans les habits de Valmont. Un coq, monstre de séduction et de libertinage, qui se heurte à la détermination d’une marquise de Merteuil (Dominique Blanc) « née pour venger (son sexe) et pour maîtriser l’autre ».

Cette pièce est une performance. Comment tenez-vous? Ce texte riche, dense, est une colonne vertébrale qui nous soutient. À part Le temps qui passe, une pièce de ma femme, Karine Silla, dont nous avions donné une soixantaine de représentations en , je n’avais pas fait de théâtre depuis vingt-cinq ans. Cela me manquait énormément, cette joute verbale qui est un matériau dans lequel on peut creuser sans fin, où il y a toujours quelque chose à explorer. Au tout début, j’en sortais lessivé. Car je bouge beaucoup. J’essaie d’apporter une énergie presque féline, en tout cas animale, qui contraste avec le côté corseté des femmes, dont Choderlos de Laclos nous parle de l’émancipation. Effectivement, il y

« Un sujet qui se joue chaque jour sur internet et dans la cour de l’école »

a une performance : il faut que ça file. Et quand ça file, c’est plus facile. Un peu comme si l’on se laissait emporter par une vague.

Ce félin est aussi un coq? Merteuil et Valmont sont des aristocrates. Ce texte critique a été écrit par un bourgeois, dix ans avant la Révolution. Et c’est vrai que le libertinage a existé en France pendant plus de cinquante ans. Avec une grande cruauté, puisque le viol pouvait en faire partie, de même que les jeux consistant à briser une réputation. Ce sujet est très actuel, puisque c’est ce qu’il se passe chaque jour sur internet et dans la cour des écoles… Mon personnage, en tout cas, tient les rênes avec Merteuil. Jusqu’à tomber dans ses propres filets en découvrant ce sentiment amoureux qui, selon lui, n’avait d’autre finalité que d’abrutir l’esprit.

Pour beaucoup, ce texte est un souvenir de lycée. Ou un film. Je connais bien John Malkovitch, qui a joué avec Glenn Close dans l’adaptation de Stephen Frears. Naturellement, je me suis refusé à revoir ce film! C’est ce qui m’a permis d’être libre et de réinventer le personnage. Les gens ne s’y attendent pas, mais on rit beaucoup, dans les deux premiers actes.

Vous venez de réaliser Seul dans Berlin. Un grand projet! J’y ai travaillé pendant huit longues années et le film doit sortir à l’automne. Avec Emma Thompson, Brendan Gleeson, sur le quotidien dans l’Allemagne des années  à . C’est une oeuvre importante, dans ma carrière comme dans ma vie. La première, lors du  Festival du film de

e Berlin, a été un moment formidable.

Ce couple ordinaire refuse le nazisme? Oui, après la perte d’un enfant tué en France, sur le front, ce couple décide de se reconstruire à travers un combat commun. Tous deux luttent contre cette machine gigantesque qu’est le nazisme, comme des petites mouches qui

se battraient contre un éléphant.

Cette histoire résonne avec votre passé? Oui, ma mère contre le nazisme, mon père contre le franquisme : j’ai fait des recherches des deux côtés de ma famille et j’ai réalisé qu’il y avait des liens très forts avec ce film. Mais cette histoire parle à tout le monde.

(Photo Cyril Dodergny) « Au tout début, j’en sortais lessivé », avoue le comédien qui ne s’économise pas, tourbillonnant durant trois heures dans le jeu pervers et destructeur qui le relie à son ancienne maîtresse.