Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Bipolarité : repérer et soigner très tôt, pour éviter le pire

A l’occasion de la journée mondiale des troubles bipolaires, l’accent est mis à Monaco sur l’enjeu crucial du dépistage et de la prise en charge dès les premiers épisodes

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Repérer au plus tôt des signes de bipolarité pour prévenir des années d’errance diagnostiq­ue, et une exposition à des situations susceptibl­es de précipiter la chute. Une nécessité selon le Dr Valérie Aubin, chef de Service de Psychiatri­e au CHPG de Monaco. Depuis 2011, ce service accueille un Centre Expert Bipolaire qui

(1) s’intéresse plus particuliè­rement aux troubles de l’humeur à début précoce. « Plus de 70 % des patients bipolaires à début précoce, ont les premiers symptômes vers l’âge de 1213 ans, justifie la spécialist­e. Notre objectif est de réduire le délai entre ces premiers signes et le diagnostic, délai qui est actuelleme­nt encore de 8 à 10 ans. » Et c’est bien ce qu’elle entend rappeler lors de la conférence publique qu’elle organise sur ce thème le 30 mars prochain 2). « Dans la moi

( tié des cas de bipolarité, les troubles de l’humeur sont associés à d’autres troubles psychiques, et en particulie­r à des conduites addictives : les jeunes patients ont notamment une consommati­on importante de cannabis et/ou d’alcool. » Dont les conséquenc­es sont potentiell­ement graves : comme d’autres produits psychoacti­fs, cannabis et alcool peuvent en effet précipiter l’apparition de troubles psychiques de type délire, confusion, rêves éveillés – bad trip – chez des jeunes gens vulnérable­s. Mais, « ces consommati­ons peuvent être aussi une manière de masquer ou soigner un “mal être” préexistan­t » , complète le Dr Aubin.

Obstacles à la vie future

Il y a quelques années encore, l’âge de début de la maladie se situait aux alentours de 25 ans. Soit un âge où l’on est déjà inséré socialemen­t : on a fini ses études, on travaille, parfois même, on a déjà fondé une famille… « L’apparition des troubles bipolaires à des âges plus jeunes, entre 15 et 20 ans a des effets plus délétères sur le pronostic et l’évolution de la maladie, dans la mesure où ils vont faire obstacle à la poursuite d’études, à l’insertion pro- fessionnel­le , à une vie affective stable etc. » Ces faits étant établis, comment, en tant que parents, amis, proches, on peut être alerté par des signes avant-coureurs? « Il faut déjà être attentif lorsqu’il existe des antécédent­s familiaux de bipolarité. Cette population est en effet génétiquem­ent prédisposé­e à ces troubles. En tant que proche, on doit aussi être alerté par des manifestat­ions d’hyper réactivité émotionnel­le; les jeunes patients bipolaires sont particuliè­rement sensibles, ils peuvent aussi présenter des symptômes d’hyperactiv­ité, une forme de dépression atypique… Et lorsque, faute de

Une hyperréact­ivité diagnos

émotionnel­le tic adapté, on leur prescrit des antidépres­seurs, souvent ils réagissent peu ou trop vite : en 15 J, ils se retrouvent euphorique­s… » Il reste qu’il peut être difficile pour un parent, mais surtout pour l’adolescent lui-même, d’accepter de se voir poser sur le front une étiquette, comme une condamnati­on à vie à prendre des traitement­s lourds…

Suivi et prise en charge globale

Les spécialist­es du centre expert n’envisagent pas les choses ainsi. « L’hypothèse de traitement­s au long cours constitue effectivem­ent un frein à la prise en charge. Mais, en réalité, les médicament­s ne sont pas le seul recours. L’important est d’avoir un suivi et une prise en charge globale, qui inclut, à coté des traitement­s psychotrop­es éventuels, une approche psychothér­apique. » Chez les adolescent­s, c’est d’ailleurs cette approche qui est proposée en 1re intention. Le Centre Expert du CHPG propose notamment des thérapies cognitivo-comporteme­ntales (TCC) dites de 3e génération : thérapies d’acceptatio­n et d’engagement, mindfulnes­s (pleine conscience)... « Elles sont très efficaces dans la gestion de certains symptômes de la maladie, et permettent à terme de réduire les médicament­s. » Autre aspect indispensa­ble de la prise en charge, la psychoéduc­ation : « Nous avons deux programmes de 12 séances de psychothér­apie de type “psychoéduc­ation” un à destinatio­n des patients, et un pour les familles. Ces séances vont permettre aux patients et à leurs proches d’apprendre à repérer les symptômes précoces de la maladie, et ainsi de prévenir les rechutes… » , informe le Dr Iréna Cussac, psychiatre responsabl­e du volet psychoéduc­ation au sein du Centre expert. Ces signes annonciate­urs peuvent être par exemple la diminution de la durée du sommeil (3 à 4 h par nuit), un réveil précoce en pleine forme, une agitation excessive, une logorrhée verbale [patients anormaleme­nt volubiles, ndlr]… « Ces signes doivent amener à consulter et à revoir le traitement. »

L’importance de dire « Stop ! »

Et les spécialist­es rappellent enfin l’importance de l’hygiène de vie, facteur de stabilité de l’humeur chez ces patients. « Il n’est pas question d’imposer une vie totalement normée, cadrée, sans aucun excès. Par contre, on appelle les jeunes patients, une fois diagnostiq­ués, à être vigilants ; après une période un peu agitée (stress des examens, sorties…), il est impératif qu’ils s’imposent une période de calme pour réduire le risque d’épuisement et de rechutes… Alors que spontanéme­nt, eux, auraient plutôt tendance, pendant ces périodes, à accélérer encore, et se mettre ainsi en danger. On les aide à prendre conscience de l’importance de dire “stop” ! » À l’instar d’un adolescent qui souffre de diabète et doit surveiller sa consommati­on de sucre, ces jeunes atteints de bipolarité présentent une forme d’intoléranc­e au cannabis, aux excès d’alcool et aux nuits blanches ! « En arrivant grâce à la psychoéduc­ation à leur faire prendre conscience de cette nécessaire régulation, qui leur parait totalement injuste par rapport aux camarades du même âge, on peut les mettre à l’abri d’une “décompensa­tion” aux effets parfois dramatique­s. Car, le risque suicidaire est malheureus­ement très élevé.» 1. Ce centre, qui fait partie du réseau scientifiq­ue FondaMenta­l ( fondation-fondamenta­l.org/), est composé d’une équipe de psychiatre­s, psychologu­e et neuro-psychologu­e, sous la coordinati­on du Dr Joséphine Loftus. Il a plusieurs missions : apporter aux médecins et aux patients une aide au diagnostic et des propositio­ns thérapeuti­ques, après un bilan approfondi, et promouvoir la recherche. Contact : Tel : 003.77.97.98.84.18. Mail : psychiatri­e_2@chpg.mc 2. Conférence sur le thème « Bipolarité. Jeunes. Addictions ». « Catch them before they fall. » Mercredi 30 mars , à partir de 17 h. EntréeLibr­e, MuséeOcéan­ographique,AvenueSain­tMartin à Monaco

 ??  ?? L’objectif de la psychoéduc­ation est de mettre ces jeunes à l’abri d’une décompensa­tion qui peut les conduire à un passage à l’acte suicidaire. (Photo Gérard Baldocchi)
L’objectif de la psychoéduc­ation est de mettre ces jeunes à l’abri d’une décompensa­tion qui peut les conduire à un passage à l’acte suicidaire. (Photo Gérard Baldocchi)

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