Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Bipolarité : repérer et soigner très tôt, pour éviter le pire
A l’occasion de la journée mondiale des troubles bipolaires, l’accent est mis à Monaco sur l’enjeu crucial du dépistage et de la prise en charge dès les premiers épisodes
Repérer au plus tôt des signes de bipolarité pour prévenir des années d’errance diagnostique, et une exposition à des situations susceptibles de précipiter la chute. Une nécessité selon le Dr Valérie Aubin, chef de Service de Psychiatrie au CHPG de Monaco. Depuis 2011, ce service accueille un Centre Expert Bipolaire qui
(1) s’intéresse plus particulièrement aux troubles de l’humeur à début précoce. « Plus de 70 % des patients bipolaires à début précoce, ont les premiers symptômes vers l’âge de 1213 ans, justifie la spécialiste. Notre objectif est de réduire le délai entre ces premiers signes et le diagnostic, délai qui est actuellement encore de 8 à 10 ans. » Et c’est bien ce qu’elle entend rappeler lors de la conférence publique qu’elle organise sur ce thème le 30 mars prochain 2). « Dans la moi
( tié des cas de bipolarité, les troubles de l’humeur sont associés à d’autres troubles psychiques, et en particulier à des conduites addictives : les jeunes patients ont notamment une consommation importante de cannabis et/ou d’alcool. » Dont les conséquences sont potentiellement graves : comme d’autres produits psychoactifs, cannabis et alcool peuvent en effet précipiter l’apparition de troubles psychiques de type délire, confusion, rêves éveillés – bad trip – chez des jeunes gens vulnérables. Mais, « ces consommations peuvent être aussi une manière de masquer ou soigner un “mal être” préexistant » , complète le Dr Aubin.
Obstacles à la vie future
Il y a quelques années encore, l’âge de début de la maladie se situait aux alentours de 25 ans. Soit un âge où l’on est déjà inséré socialement : on a fini ses études, on travaille, parfois même, on a déjà fondé une famille… « L’apparition des troubles bipolaires à des âges plus jeunes, entre 15 et 20 ans a des effets plus délétères sur le pronostic et l’évolution de la maladie, dans la mesure où ils vont faire obstacle à la poursuite d’études, à l’insertion pro- fessionnelle , à une vie affective stable etc. » Ces faits étant établis, comment, en tant que parents, amis, proches, on peut être alerté par des signes avant-coureurs? « Il faut déjà être attentif lorsqu’il existe des antécédents familiaux de bipolarité. Cette population est en effet génétiquement prédisposée à ces troubles. En tant que proche, on doit aussi être alerté par des manifestations d’hyper réactivité émotionnelle; les jeunes patients bipolaires sont particulièrement sensibles, ils peuvent aussi présenter des symptômes d’hyperactivité, une forme de dépression atypique… Et lorsque, faute de
Une hyperréactivité diagnos
émotionnelle tic adapté, on leur prescrit des antidépresseurs, souvent ils réagissent peu ou trop vite : en 15 J, ils se retrouvent euphoriques… » Il reste qu’il peut être difficile pour un parent, mais surtout pour l’adolescent lui-même, d’accepter de se voir poser sur le front une étiquette, comme une condamnation à vie à prendre des traitements lourds…
Suivi et prise en charge globale
Les spécialistes du centre expert n’envisagent pas les choses ainsi. « L’hypothèse de traitements au long cours constitue effectivement un frein à la prise en charge. Mais, en réalité, les médicaments ne sont pas le seul recours. L’important est d’avoir un suivi et une prise en charge globale, qui inclut, à coté des traitements psychotropes éventuels, une approche psychothérapique. » Chez les adolescents, c’est d’ailleurs cette approche qui est proposée en 1re intention. Le Centre Expert du CHPG propose notamment des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) dites de 3e génération : thérapies d’acceptation et d’engagement, mindfulness (pleine conscience)... « Elles sont très efficaces dans la gestion de certains symptômes de la maladie, et permettent à terme de réduire les médicaments. » Autre aspect indispensable de la prise en charge, la psychoéducation : « Nous avons deux programmes de 12 séances de psychothérapie de type “psychoéducation” un à destination des patients, et un pour les familles. Ces séances vont permettre aux patients et à leurs proches d’apprendre à repérer les symptômes précoces de la maladie, et ainsi de prévenir les rechutes… » , informe le Dr Iréna Cussac, psychiatre responsable du volet psychoéducation au sein du Centre expert. Ces signes annonciateurs peuvent être par exemple la diminution de la durée du sommeil (3 à 4 h par nuit), un réveil précoce en pleine forme, une agitation excessive, une logorrhée verbale [patients anormalement volubiles, ndlr]… « Ces signes doivent amener à consulter et à revoir le traitement. »
L’importance de dire « Stop ! »
Et les spécialistes rappellent enfin l’importance de l’hygiène de vie, facteur de stabilité de l’humeur chez ces patients. « Il n’est pas question d’imposer une vie totalement normée, cadrée, sans aucun excès. Par contre, on appelle les jeunes patients, une fois diagnostiqués, à être vigilants ; après une période un peu agitée (stress des examens, sorties…), il est impératif qu’ils s’imposent une période de calme pour réduire le risque d’épuisement et de rechutes… Alors que spontanément, eux, auraient plutôt tendance, pendant ces périodes, à accélérer encore, et se mettre ainsi en danger. On les aide à prendre conscience de l’importance de dire “stop” ! » À l’instar d’un adolescent qui souffre de diabète et doit surveiller sa consommation de sucre, ces jeunes atteints de bipolarité présentent une forme d’intolérance au cannabis, aux excès d’alcool et aux nuits blanches ! « En arrivant grâce à la psychoéducation à leur faire prendre conscience de cette nécessaire régulation, qui leur parait totalement injuste par rapport aux camarades du même âge, on peut les mettre à l’abri d’une “décompensation” aux effets parfois dramatiques. Car, le risque suicidaire est malheureusement très élevé.» 1. Ce centre, qui fait partie du réseau scientifique FondaMental ( fondation-fondamental.org/), est composé d’une équipe de psychiatres, psychologue et neuro-psychologue, sous la coordination du Dr Joséphine Loftus. Il a plusieurs missions : apporter aux médecins et aux patients une aide au diagnostic et des propositions thérapeutiques, après un bilan approfondi, et promouvoir la recherche. Contact : Tel : 003.77.97.98.84.18. Mail : psychiatrie_2@chpg.mc 2. Conférence sur le thème « Bipolarité. Jeunes. Addictions ». « Catch them before they fall. » Mercredi 30 mars , à partir de 17 h. EntréeLibre, MuséeOcéanographique,AvenueSaintMartin à Monaco