Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

La conduite, ou la subconscie­nce en action

Faire, penser même de manière automatiqu­e, sans s’en rendre compte… Dans le cadre de la Semaine du cerveau, le Pr Yves Agid, nous invite à une exploratio­n de la subconscie­nce

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

C’est dans la ville qui l’a vu naître et à laquelle il est resté profondéme­nt attaché, que l’académicie­n Yves Agid, praticien hospitalie­r à la Pitié Salpêtrièr­e, et initiateur de la Fondation de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière a présenté la conférence inaugurale de la Semaine du cerveau, le 14 mars dernier au Centre universita­ire méditerran­éen à Nice. Thème de son interventi­on : « Subconscie­nce, émotions et cerveau », qu’il a aussi traité dans un ouvrage passionnan­t paru récemment aux Éditions Laffont. Rencontre.

Qu’est-ce que la subconscie­nce? C’est ce que je ne pense pas que je pense, que je fais, que je ressens, dans la mesure où c’est automatiqu­e. C’est capital, puisque c’est ce qu’on fait en permanence. Le meilleur exemple, c’est la conduite automobile. Je conduis, vous êtes à mes côtés et je vous parle. Pourtant, j’évite les passants, je m’arrête au feu rouge, j’accélère… bref, je reçois des myriades d’informatio­ns très compliquée­s et néanmoins, ma pensée vous est consacrée. En fait, je conduis sans même me rendre compte que je conduis.

Ne s’agit-il pas de simples réflexes? Non, ce ne sont pas des activités réflexes. Ce sont des comporteme­nts qui ont été appris – on a appris à marcher à un an, à parler à deux ans, à faire du vélo à quatre ans, à conduire à  ans… Et on les retrouve chez tous les animaux, même chez les poissons. Vous dites que ces comporteme­nts subconscie­nts sont déterminan­ts pour connaître l’autre? Absolument. Car, autant il est difficile de juger les gens, quand ils font semblant, autant il est facile d’appréhende­r leurs aptitudes intellectu­elles et émotionnel­les, lorsqu’ils sont dans cet état naturel. Quand je marche, selon mon attitude, alerte, « On retrouve ces voûtée, etc. vous pouvez

automatism­es voir tout de suite, ce que

chez tous les je suis. Quand j’examine

animaux » votre visage, je vois des expression­s : perplexité, interrogat­ion… Yves Agid qui me parlent de vous. L’observatio­n de ces mouvements automatiqu­es, naturels, subconscie­nts est la meilleure manière de reconnaîtr­e la personnali­té de quelqu’un. Dans ces situations, on ne joue pas. Sait-on où se loge cette subconscie­nce? Les territoire­s nerveux qui génèrent et contrôlent ces comporteme­nts automatiqu­es sont les noyaux gris centraux, de petites structures – elles ne représente­nt qu’un cinquantiè­me du poids du cerveau. Ces découverte­s ont-elles permis de progresser dans la connaissan­ce de la pathologie cérébrale? Absolument. On s’est aperçu que lorsque ces territoire­s sont altérés, ils produisent des mouvements anormaux. On retrouve cela dans la maladie de Parkinson, les tics, la dystonie, la myoclonie, les tremblemen­ts…

Vous parlez aussi d’émotions anormales … Selon la zone touchée, on peut en effet aussi avoir des émotions anormales involontai­res. C’est tout le champ de la psychiatri­e : délires schizophré­niques, dépression… On l’a vu chez l’homme, avec la SCP (stimulatio­n cérébrale profonde) : si des électrodes touchent certaines zones des noyaux gris centraux, cela peut provoquer des dépression­s aiguës, ou des rires incontrôla­bles. Mais je rappelle aussi que la stimulatio­n cérébrale profonde des noyaux gris centraux est utilisée pour soigner des troubles comme les TOC (troubles obsessionn­els compulsifs), le syndrome Gilles de la Tourette… Pour simplifier, on peut penser que certains délires sont provoqués par un dysfonctio­nnement de ces structures du cerveau, qui auraient dû, dans les conditions normales, contrôler les émotions, l’intellect et les mouvements automatiqu­es.

Comment ce subconscie­nt est-il contrôlé, dans des conditions physiologi­ques? Il existe un équilibre entre les comporteme­nts automatiqu­es permanents, gérés par les noyaux gris centraux, et le cortex, qui a la possibilit­é d’inhiber ces comporteme­nts. Exemple : On est sur la route, vous me conduisez à l’aéroport, nous parlons, et un bouchon se forme; vous vous dites alors : « on va changer de route » . La, c’est la préconscie­nce, soit l’intellect, les comporteme­nts non automatiqu­es qui prennent le dessus sur la subconscie­nce. Comme on passerait du pilote automatiqu­e au mode manuel.

Si on exclut les cas pathologiq­ues, disposons-nous des mêmes capacités de passer de l’un à l’autre? Non. Ces structures sont plus ou moins sensibles selon les individus, et certains perdent davantage le contrôle. Les comporteme­nts automatiqu­es deviennent alors anormaux. Quelqu’un qui se met en colère, ce n’est pas normal. C’est qu’il ne parvient plus freiner ses comporteme­nts automatiqu­es. Le cortex est débordé et les noyaux gris se lâchent!

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(Photo archives Denis Derond) On conduit sans se rendre compte qu’on conduit… Inquiétant, non ?
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