Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
La conduite, ou la subconscience en action
Faire, penser même de manière automatique, sans s’en rendre compte… Dans le cadre de la Semaine du cerveau, le Pr Yves Agid, nous invite à une exploration de la subconscience
C’est dans la ville qui l’a vu naître et à laquelle il est resté profondément attaché, que l’académicien Yves Agid, praticien hospitalier à la Pitié Salpêtrière, et initiateur de la Fondation de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière a présenté la conférence inaugurale de la Semaine du cerveau, le 14 mars dernier au Centre universitaire méditerranéen à Nice. Thème de son intervention : « Subconscience, émotions et cerveau », qu’il a aussi traité dans un ouvrage passionnant paru récemment aux Éditions Laffont. Rencontre.
Qu’est-ce que la subconscience? C’est ce que je ne pense pas que je pense, que je fais, que je ressens, dans la mesure où c’est automatique. C’est capital, puisque c’est ce qu’on fait en permanence. Le meilleur exemple, c’est la conduite automobile. Je conduis, vous êtes à mes côtés et je vous parle. Pourtant, j’évite les passants, je m’arrête au feu rouge, j’accélère… bref, je reçois des myriades d’informations très compliquées et néanmoins, ma pensée vous est consacrée. En fait, je conduis sans même me rendre compte que je conduis.
Ne s’agit-il pas de simples réflexes? Non, ce ne sont pas des activités réflexes. Ce sont des comportements qui ont été appris – on a appris à marcher à un an, à parler à deux ans, à faire du vélo à quatre ans, à conduire à ans… Et on les retrouve chez tous les animaux, même chez les poissons. Vous dites que ces comportements subconscients sont déterminants pour connaître l’autre? Absolument. Car, autant il est difficile de juger les gens, quand ils font semblant, autant il est facile d’appréhender leurs aptitudes intellectuelles et émotionnelles, lorsqu’ils sont dans cet état naturel. Quand je marche, selon mon attitude, alerte, « On retrouve ces voûtée, etc. vous pouvez
automatismes voir tout de suite, ce que
chez tous les je suis. Quand j’examine
animaux » votre visage, je vois des expressions : perplexité, interrogation… Yves Agid qui me parlent de vous. L’observation de ces mouvements automatiques, naturels, subconscients est la meilleure manière de reconnaître la personnalité de quelqu’un. Dans ces situations, on ne joue pas. Sait-on où se loge cette subconscience? Les territoires nerveux qui génèrent et contrôlent ces comportements automatiques sont les noyaux gris centraux, de petites structures – elles ne représentent qu’un cinquantième du poids du cerveau. Ces découvertes ont-elles permis de progresser dans la connaissance de la pathologie cérébrale? Absolument. On s’est aperçu que lorsque ces territoires sont altérés, ils produisent des mouvements anormaux. On retrouve cela dans la maladie de Parkinson, les tics, la dystonie, la myoclonie, les tremblements…
Vous parlez aussi d’émotions anormales … Selon la zone touchée, on peut en effet aussi avoir des émotions anormales involontaires. C’est tout le champ de la psychiatrie : délires schizophréniques, dépression… On l’a vu chez l’homme, avec la SCP (stimulation cérébrale profonde) : si des électrodes touchent certaines zones des noyaux gris centraux, cela peut provoquer des dépressions aiguës, ou des rires incontrôlables. Mais je rappelle aussi que la stimulation cérébrale profonde des noyaux gris centraux est utilisée pour soigner des troubles comme les TOC (troubles obsessionnels compulsifs), le syndrome Gilles de la Tourette… Pour simplifier, on peut penser que certains délires sont provoqués par un dysfonctionnement de ces structures du cerveau, qui auraient dû, dans les conditions normales, contrôler les émotions, l’intellect et les mouvements automatiques.
Comment ce subconscient est-il contrôlé, dans des conditions physiologiques? Il existe un équilibre entre les comportements automatiques permanents, gérés par les noyaux gris centraux, et le cortex, qui a la possibilité d’inhiber ces comportements. Exemple : On est sur la route, vous me conduisez à l’aéroport, nous parlons, et un bouchon se forme; vous vous dites alors : « on va changer de route » . La, c’est la préconscience, soit l’intellect, les comportements non automatiques qui prennent le dessus sur la subconscience. Comme on passerait du pilote automatique au mode manuel.
Si on exclut les cas pathologiques, disposons-nous des mêmes capacités de passer de l’un à l’autre? Non. Ces structures sont plus ou moins sensibles selon les individus, et certains perdent davantage le contrôle. Les comportements automatiques deviennent alors anormaux. Quelqu’un qui se met en colère, ce n’est pas normal. C’est qu’il ne parvient plus freiner ses comportements automatiques. Le cortex est débordé et les noyaux gris se lâchent!