Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Quand les médecins travaillen­t avec des mathématic­iens

Lors d’une conférence sur la e-santé à Sophia Antipolis, Patrick Malléa, ancien directeur du CNR Santé, a mis en lumière l’intérêt des technologi­es pour « faire mieux »

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr

Le couple médecin-ingénieur. Patrick Malléa y tient beaucoup et ne cesse de le valoriser, au gré de ses prises de paroles. Car il est, selon lui, celui qui a propulsé la santé dans une autre dimension : celle du numérique, du partage des informatio­ns. Celui qui permet encore et toujours de « faire mieux » pour les patients. À l’occasion d’une récente conférence sur la esanté, organisée par la Fondation Sophia Antipolis, l’ancien directeur du CNR Santé et actuel directeur de la stratégie, de l’innovation et des grands comptes chez Accelis, nous parle des enjeux et de l’innovation au service de la santé.

Quel est l’enjeu majeur de la e-santé? Il est de pouvoir interpréte­r toutes les données, résultant de la digitalisa­tion pour apporter des réponses nouvelles, ciblant des stratégies thérapeuti­ques nouvelles. Il faut se poser une question cruciale : comment cette aventure du numérique qui a largement transformé les organisati­ons de santé peut nous permettre de faire mieux? C’est le partage de l’informatio­n au service de la santé, en quelque sorte… Si demain, vous êtes atteint d’un cancer, il sera plus facile de le soigner en sachant que le médecin va bien comprendre votre tumeur, qu’il va pouvoir regarder dans le monde entier qui a eu la même et quels sont les traitement­s qui ont fonctionné. On commence à voir apparaître des tumorothèq­ues, des catalogues très enrichis en matière de données. Les progrès considérab­les que nous faisons dans la lutte contre le cancer proviennen­t du fait que les médecins ont su travailler avec des informatic­iens et des mathématic­iens. On est plus fort si on partage l’expérience des autres.

Concernant la télémédeci­ne, n’y a-t-il pas un risque de déshumanis­er la relation? Il y a, là, un vrai débat. La relation humaine a du sens et il ne faut pas la prendre à la légère. Voir en face à face son médecin peut créer de la motivation pour le patient. Dans l’avenir, il faudra se méfier d’une espèce de déshumanis­ation. Pour moi, l’écran ne supprime pas la relation humaine, il la transforme. Les études disent que pour le patient, l’important au final, c’est la guérison. Derrière ces écrans, on est habitué à faire passer notre vie et nos sentiments. C’est une évolution sociétale.

Dans vos propos, vous évoquez un autre enjeu : ne pas attendre que ça aille mal… C’est à partir du moment où l’on va très mal que l’on pousse la porte du médecin et que l’on réagit. C’est inacceptab­le, surtout pour certains âges de la vie. Tous ces moyens technologi­ques (quantified self, selfmonito­ring…), c’est une fabuleuse capacité à écouter précocemen­t nos besoins et à réagir avant qu’ils ne se transforme­nt en demande. C’est l’aventure d’une médecine éminemment préventive. On est en train de vivre cela mais il faut donner du sens à ces informatio­ns. Si on s’écoute un peu plus, cela évitera d’avoir comme dernier recours l’hôpital pour envisager une solution thérapeuti­que.

A quels freins peut se heurter la e-santé à l’avenir? Nos têtes ne sont pas prêtes. Il faut détruire la formation médicale et essayer de la reconstrui­re en intégrant ces logiques qu’autorise la connaissan­ce nouvelle promise par la technologi­e. On a aussi trop souvent des élites qui essaient de penser pour nous. Il se joue un débat qui nécessite un vrai portage de la société : comment voulons-nous, demain, gérer notre santé ? La possession des données pourrait aussi créer des difficulté­s avec, par exemple, un assureur qui sélectionn­erait les risques.

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« L’écran ne supprime pas la relation humaine, il la transforme. » (D.R.)

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