Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Les progrès et les obstacles
La Ville de Nice cravache pour rattraper son retard. Mais les habitants n’en veulent jamais à côté de chez eux, et l’opposition conteste la méthode
Les Alpes-Maritimes présentent un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale », confie Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice, ajointe au maire de Nice déléguée au Logement et à la cohésion sociale et conseillère métropolitaine. Conséquence directe : 72 % de la population serait éligible au logement social (selon la préfecture). Toute personne seule avec moins de 28 172 euros de revenu annuel (50 717 euros pour un couple avec deux enfants) peut prétendre à ce type d’habitation. Pourtant, Nice fait figure de mauvais élève depuis longtemps et l’adjointe rame pour remettre la Ville à niveau. Fin 2016, le parc social de la commune comptait 20008 logements, soit 12,74 % (contre 10,7 % en 2002). Avec 1095 biens bâtis en 2016 et 774 autres votés au premier conseil municipal cette année, l’adjointe estime que la municipalité a engagé de vrais efforts: « Nous n’avons pas à rougir de notre politique. Mais ce ne sera jamais suffisant, on a pris un tel retard… Pendant des années, on s’est senti privilégiés… Le Département et la Métropole n’ont eu aucune politique foncière. »
« % c’est irréalisable»
Un retard conséquent. À l’horizon 2025, dans les communes de plus de 3 500 habitants, 25 % des résidences principales devront être des logements sociaux (loi SRU). La sénatrice (qui préside également le bailleur social Côte d’Azur Habitat) prévient que ce retard ne sera rattrapé que jusqu’à un certain point: «25 % c’est impossible (...), impensable, irréalisable. (...) Cela représenterait 3 000 logements par an. C’est la totalité de ce qui est construit chaque année [3 786 mises en chantier entre juin 2015 et juin 2016 selon le Cerc Paca]. Nous voulons des chiffres ambitieux, mais réalisables. Ce qu’on veut annoncer, on veut le réaliser », lance Dominique EstrosiSassone. Elle estime qu’un objectif de 15 à 16 % permettrait de traiter les 8 000 dossiers de demande en attente. Si l’objectif est modeste au regard des obligations, c’est que le foncier est rare. « Nice est une cuvette bordée par les collines, où la construction est plus compliquée et plus chère, et le littoral, où c’est extrêmement réglementé. Le foncier est rare et ce qui est rare est cher. On ne peut pas pousser les murs » , objecte-t-elle. L’autre raison, c’est la peur des riverains : « Tout le monde connaît quelqu’un qui a besoin d’un logement social. Pourtant, dès qu’on annonce un projet, il y a une levée de boucliers. Mais à la fin des réunions publiques, les mêmes qui se sont insurgés viennent me trouver, pour me demander un logement pour une cousine, une nièce, un fils… Personne ne veut de ces logements à côté de chez lui. Pourtant, je vous mets au défi aujourd’hui de reconnaître un logement social à l’oeil nu. Les constructions sont très qualitatives. »
Lutter contre la peur
Chaque permis de construire, ou presque, entraîne un recours: «Normalement, il faudrait vingtquatre mois pour voir aboutir un projet. Mais nous sommes de plus en plus souvent sur des délais de trois à cinq ans. Mais je ne lâche rien. Jamais. » De réunions en présentations, elle fait de la pédagogie. Pour enrayer cette peur irrationnelle. « Plus convaincue que moi, vous ne trouverez pas ! » Mais elle utilise aussi un autre outil : la servitude de mixité sociale. Un règlement qui, dans certaines zones, permet d’imposer un quota de logements sociaux dans les nouvelles constructions. Il présente aussi l’avantage de lutter contre l’effet ghetto. Mais les délais d’attribution des logements restent longs. Quatre à cinq ans en moyenne selon la sénatrice. Pourtant, les chiffres du ministère du Logement montrent qu’à Nice, environ 80 % des ménages ayant obtenu un logement social en 2015 ont attendu moins de deux ans. Si certains élus d’opposition dénoncent une opacité des conditions d’attribution, la présidente de Côte d’Azur Habitat s’insurge : « Il n’y a pas de polémique. La commission est souveraine, et prend des décisions en son âme et conscience. Nous préférons nous baser sur l’urgence, plutôt que sur l’ancienneté. Comment refuser un toit à une famille qui vit à la rue ou à une femme battue contrainte de quitter le domicile ? Mais que croyez-vous ? Bien sûr qu’à chaque fois c’est un crève-coeur… »