Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Menacé par une secte, Basiru sera-t-il expulsé?

Ce ressortiss­ant de Sierra Leone sera bientôt fixé sur son sort. Il avait attaqué devant le tribunal administra­tif son obligation de quitter la France. Il est recherché et menacé de mort

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Sa demande d’asile a été rejetée le 16 juin 2014 par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra. Une décision confirmée par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, le 1er février 2016. Alors, Basiru avait fait une demande de réexamen. Rejetée par l’Ofpra, le 8 novembre 2016. Mais toujours en attente du côté de la CNDA. Pour autant, ce Sierra-Léonais ne baisse pas les bras (Nice-Matin des 18 mars 2016 et 2 mars 2017). Il devait quitter le territoire français par décision de la préfecture des Alpes-Maritimes le 25 octobre. Son recours contre cette décision devant le tribunal administra­tif de Nice a été examiné le 13 avril. Il devrait être fixé d’ici trois semaines. Basiru, 37 ans ne veut pas retourner dans son pays. Il l’a fui. Pour de bonnes raisons, affirme-t-il. En Sierra Leone, il a affronté une secte, Poro, refusé d’être enrôlé de force. Et les membres de cette société secrète l’ont condamné à mort.

« J’ai mis le feu à la case sacrée »

Basiru est arrivé en France en 2014. Dans une lettre aux organismes qu’il a sollicités, il explique son histoire. Comment, en 2006, sa vie a basculé dans l’horreur, ce jour où il a «interrompu le processus d’initiation et a mis le feu à la case sacrée » de Poro. Son père lui a demandé d’intégrer la secte, dont il était lui-même membre. « J’avais refusé », écrit-il. Lui, le fils aîné. Sacrilège. Son père lui avait parlé de sacrifices humains, de meurtres rituels de jeunes garçons et filles vierges. Basiru ne veut pas. Sa mère a pris sa défense. Le père les a alors chassés. En février 2006, il reçoit un message. «Mon père était gravement malade et sur le point de mourir ». Basiru s’est senti « obligé ». Il s’est mis en route vers le village. Sur son lit de mort, son père lui refait sa demande. Cette fois Basiru répond… «oui» . « Mais je savais que je ne le ferai pas », affirme-t-il dans sa longue lettre.

« Incisé ma nuque avec un rasoir »

Un soir, des membres de la secte lui mettent un sac sur la tête. Et l’emmènent dans la forêt sacrée. Dans le bois, des crânes humains, des chevelures, des os… Un grand feu au milieu. Et autour des grisgris faits de peau humaine et de coquillage­s. Basiru est attaché à un arbre. Il écrit et détaille comment on lui a « coupé et brûlé les cheveux ». Comment ils ont « incisé sa nuque avec un rasoir ». Et comment, encore, les membres de la secte lui ont fait boire son sang mélangé à ses cheveux brûlés et à du riz broyé. « Ils m’ont forcé à ingurgiter cette mixture avant de prêter serment de secret », devant le chef, le sowa. Son calvaire, dit-il, durera deux jours. Ensuite, il est transféré dans la case sacrée. Où il doit rester avec la tête de son défunt père. Le lendemain, alors qu’on venait lui apporter à manger, il prend un bâton, et frappe. Il met le feu à la hutte et se met à courir… Cinq jours plus tard, Basiru arrive chez un ami, à une quarantain­e de kilomètres de la forêt sacrée. Il est faible et blessé. Il passera deux semaines à l’hôpital. Son ami organise sa fuite vers la Guinée-Conakry avec sa femme et son premier fils. Depuis, Basiru a eu deux autres garçons.

« Je n’ai pas voulu faire couler le sang »

Là-bas, aidé de l’oncle de son épouse, il change d’identité. Trouve un travail. C’est illégal. Il le sait. Mais il faut survivre et surtout échapper à la secte. Ils le recherchen­t pour l’éliminer. Sa femme tombe malade. Elle trouve refuge dans la religion chrétienne. En guérissant, sa foi se transforme. De musulmane, elle devient chrétienne. C’est interdit en Guinée, raconte Basiru. L’oncle qui les avait recueillis révèle sa véritable identité. Basiru est convoqué chez les gendarmes pour justifier de sa nationalit­é. Il encourt sept ans de prison. Il doit fuir. Une nouvelle fois. Aujourd’hui, sa femme et ses enfants vivent sous la protection d’un pasteur de Conakry. Lui est en France depuis 2014, à Nice. Et demande le droit d’asile. Il ne peut pas retourner au Sierra Leone, parce qu’il « n’a pas voulu faire couler le sang ».

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(Photo Jean-Sébastien Gino-Antomarchi) Basiru affirme être recherché par les membres de la secte qu’il a défiée. Il est menacé de mort au Sierra Leone.

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