Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

IAM: « On ne transige pas sur notre musique »

Le groupe de rap français, qui vient de sortir son huitième album, était sur la scène de la Villa Schweppes, hier soir, dans le cadre du Festival de Cannes. Rencontre

- MARIE CARDONA mcardona@nicematin.fr

Alors qu’ils viennent de sortir leur huitième album, ils sont toujours aussi inspirés. Près de trente ans après, ils ont toujours des choses à dire et à écrire, avec cette rigueur et cette identité qui leur est propre, faisant fi des normes. En trente ans, leurs textes résonnent encore avec tellement d’intensité.

Votre album mythique L’École du micro d’argent est sorti en . Vingt ans après, vous avez toujours des choses à dire ?

Akhenaton : Je pense qu’il peut y avoir, après vingt ans, trente ans, des choses à dire sur ce qu’on a dans son âme, dans son coeur et savoir comment la vie nous fait réagir, en bien ou en mal d’ailleurs. Faire du rap c’est être passionné avant tout. Du moment où on a une passion, on aura toujours quelque chose à dire. Quand on fait ça pour un job alimentair­e, il peut arriver un moment où la chanson et les paroles se tarissent. On peut passer des passages plus difficiles. Quand tu écris un album et que tu enchaînes un autre, et un autre, etc. Ce n’est pas toujours facile d’écrire des choses qui te plaisent mais les idées reviennent. Il y a des hauts et des bas mais les idées reviennent tout le temps. C’est l’intentionn­alité qui compte.

Quelles sont vos sources d’inspiratio­n aujourd’hui ?

Shurik’n: C’est multiple et divers. Comme tout le monde, on réagit à des événements. Et nous, on a toujours une raison d’écrire. Quand on voit ce qu’il se passe, je ne pense pas qu’on puisse se permettre de s’arrêter. Kheops : On fait ça depuis plus de trente ans. Il suffit juste d’avoir envie et ça vient tout seul.

Votre nouvel album Rêvolution, sorti le  mars dernier, c’est la contractio­n de deux mots : rêve et évolution. Quel message avez-vous voulu faire passer ?

A : Que pour changer les choses il faut garder des rêves intacts. On est dans une société où on nous dit : « Il faut être ancré dans le pragmatism­e, être concret, voir la réalité en face ». Mais il faut voir aussi la nature de cette réalité-là. Cette réalité-là ne convient pas à des tas de gens c’est pour ça qu’on a abouti à une société un peu plus « aigrie ». Du coup, la dimension du rêve, qui est présente chez tous les enfants, on a essayé de la garder intacte. Il y a des choses qui nous ont amenés à faire du rap qui sont affiliées à l’enfance et qui sont toujours là malgré notre âge « avancé » dans le rap.

Vous avez tenu à garder un son IAM, vos production­s ne ressemblen­t en rien à ce qu’on entend aujourd’hui. Comment avez-vous fait pour garder cette identité ?

A : On ne transige pas sur notre musique. Pas de perte de sangfroid à dire : « Il faut qu’on soit dans la vague ». Ona notre propre vague. On a pris des risques des fois. On a fait des albums que tout le monde trouvait extraterre­stres. On ne s’est jamais mis dans une forme de temporalit­é. S : On a toujours voulu faire notre musique, même si on écoutait beaucoup de rap américain. Quand on a commencé à rapper, on s’est dit qu’il fallait qu’on traite de choses qui nous concernaie­nt directemen­t plutôt que de faire de l’américain en français. Pour nous il y a eu le rap, oui, mais on avait aussi nos influences : les musiques orientales, Marseille, nos familles... On a incorporé ça naturellem­ent dans la recette et c’est devenu notre marque de fabrique. On ne cherche pas à la maintenir. C’est juste que c’est comme ça qu’on aime notre musique.

Que vous inspire la scène du rap français aujourd’hui ?

S : Le rap s’est diversifié. C’est une musique qui est devenue très éclectique et qui est influencée au fur et à mesure par la culture des génération­s qui s’y accrochent. C’est pour ça qu’on se retrouve avec quelque chose de beaucoup plus pop en ce moment. La génération qui rappe maintenant c’est la génération qui a grandi avec ce mélange musical-là. Et ça se retrouve dans leur musique, comme nos influences musicales se retrouvent dans notre musique. On n’aura peut-être pas les mêmes sources d’inspiratio­n mais le tronc reste commun quand même. A : Mais le background culturel a changé. Les gens qui connaissen­t la culture hip-hop sont minoritair­es dans le rap. On est minoritair­es dans notre propre musique, qu’on a créée. S: C’est la loi du nombre. Et c’est le temps aussi qui veut ça. Nous, on vient d’une culture où il y a des codes à respecter. Ça n’existe plus maintenant. On est plus dans le gimmick que dans la recherche de performanc­e verbale ou écrite.

À l’époque où on communique par émojis, peut-on toujours jouer aussi facilement avec la langue française tout en restant accessible ?

A : On nous dit souvent qu’on a des paroles qui ne sont pas toutes accessible­s. Mais on nous le disait déjà avant. On ne peut pas penser commercial­ement et édulcorer nos paroles parce qu’on a peur de ne pas être compris par des jeunes génération­s qui manient un peu moins bien le vocabulair­e. Au contraire, il faut continuer, travailler sur les mots, les assonances, la technique. Parce que si la mode, c’est de pas bien parler, forcément tu vas avoir que du «çava» , « sava ». Parce qu’on est tellement cool avec du « sava».

Peut-on être un bon rappeur en faisant du commercial ?

S : Bien sûr. Ce n’est pas nous qui décidons de ce que le morceau va devenir. Nous, on le fait. On met nos tripes dedans. Ce sont les gens qui l’écoutent qui vont faire qu’il devienne un classique ou un bide. Ce qui compte quand on fait un album, c’est que nous,

on en soit satisfait avant même de le proposer. A: Pour nous, tu dois créer et assumer le morceau que tu fais. Ta partie commercial­e elle commence au moment où ton album est fabriqué et où, toi, tu dois vendre ton album. Mais quand tu penses à ton morceau, ce qui est dangereux c’est de le calibrer: la longueur des couplets, la tonalité, etc. S : C’est de se demander ce qui va plaire.

Vous ne pensez pas à ce qui va plaire quand vous écrivez...

A : Non, rien à foutre. On est des gros égoïstes quand on crée. Sinon la musique serait des maths. S : Pour évoluer musicaleme­nt ce n’est pas le genre de questions qu’il faut se poser.

Vous vous êtes souvent produits sur la Côte d’Azur. Vous revenez à Nice le  novembre à Nikaïa. Ça vous fait quoi de retrouver le public niçois ?

A : On est toujours très bien accueillis ici. Il y a deux ans au Fort Carré d’Antibes, le concert était énorme. Les concerts au Théâtre de Verdure ces dernières années, c’étaient des monstres de concerts. On a toujours un très bon public dans la région. Peutêtre parce qu’on est venu très tôt, qu’on a commencé à faire nos concerts à l’Ariane. S : On a tout un historique avec la région.

On nous dit souvent qu’on a des paroles qui ne sont pas toutes accessible­s”

Faire du rap, c’est être passionné avant tout”

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(Photo Shanon Gilles)

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