Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Après la campagne, le “nous” s’effondre au profit du “je” »

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Emmanuel Macron fait-il des phrases plus longues que ses prédécesse­urs ?

En général, les gens qui ont un vocabulair­e riche font des phrases longues. De fait, Macron emploie  ou  mots par phrase, alors que Sarkozy était proche de  et Pompidou, à . Syntaxique­ment, ces phrases sont donc plus construite­s, avec un goût très prononcé pour la coordinati­on : “LaFranceET l’Europe ”, “Les hommes ET les femmes ” Ce n’est pas du ni-ni, plutôt du et-et !

Comment l’interpréte­r ?

Clairement, il veut renouer avec le président intellectu­el des origines de la Ve République, avec une volonté de marquer son discours du sceau du littéraire, de faire référence à des concepts philosophi­ques ou de sciences politiques. Il peut jongler entre plusieurs registres de langages, avec un discours plus ou moins cru.

fainéants” le bordel” “les “ceux qui foutent « Lui président », de quel prédécesse­ur Macron se rapproche-t-il le plus ?

S’il faut choisir : du discours de Giscard. Macron lui reprend son double positionne­ment : assez orthodoxe économique­ment, assez avant-gardiste sociétalem­ent. Ce n’est pas un président “bobo” mais “lib-lib” : libéral et libertaire. Tout est dit quand on regarde son gouverneme­nt ! Et puis, il y a l’âge, forcément. En , Giscard avait la quarantain­e, alors que ses prédécesse­urs en avaient , … Et on ne parle pas de la même manière à  et à  ans.

Macron est un président jeune mais qui use d’un vocabulair­e parfois désuet, à l’image de sa

« poudre de perlimpinp­in »… Cela traduit sa volonté d’afficher une continuité de la parole présidenti­elle. C’est un clin d’oeil volontaire aux années cinquante, soixante ou soixantedi­x. A ses yeux, ces formules un peu vintage assoient sa crédibilit­é et son autorité. A cela s’ajoute sans doute une certaine jouissance de la parole.

Et lors de sa campagne, de qui est-il le plus proche à l’oral ?

Statistiqu­ement, de Ségolène Royal. Quand on y repense, son discours en , s’il n’a pas été gagnant, était lui aussi flou, transparti­san, avec une volonté d’incarner une nouveauté. A tel point que les “éléphants” du PS l’avaient lâchée, ne se reconnaiss­ant pas dans ce discours d’électron libre, un peu mystique.

Les mots du Macron président sont-ils très éloignés du Macron candidat ?

Pendant la campagne électorale, le discours de Macron est fuyant, avec un vide remarquabl­e au niveau du contenu politique. Il traduit un hymne à la “transforma­tion” , au “changement” , au “projet”, et fuit les mots forts comme “nation”, “peuple” ou “immigratio­n” .Une fois élu, il assume des prises de position plus nettes. La posture “jupiterien­ne” s’est exacerbée avec l’élection présidenti­elle : le “nous” s’effondre au profit du “je”. Macron est passé du statut d’outsider à une posture hégémoniqu­e où son “je” finit par englober l’ensemble de l’agora.

Aujourd’hui, que reste-t-il du fameux “Et en même temps” ?

Durant la campagne, il est établi statistiqu­ement qu’il l’a utilisé de manière presque éhontée… et revendiqué­e ! Maintenant qu’il est président, il a moins besoin de ménager la chèvre et le chou. Il l’utilise donc moins, même si cette expression n’a pas complèteme­nt disparu.

Selon vous, les mots vont-ils continuer à être les alliés de Macron ? Ou peuvent-ils se retourner contre lui ?

On a très vite fait de trébucher sur un mot. Car un même mot peut avoir une connotatio­n négative ou positive. Ses mots savants peuvent être ressentis comme une forme de mépris populaire, de déconnexio­n des préoccupat­ions quotidienn­es. Jusqu’ici, on lui fait plutôt crédit de ses innovation­s lexicales. Pour l’instant, ils sont ses alliés. Mais ils peuvent aussi devenir son péché mignon.

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(Photo AFP) Lui président, le dernier à Dubaï.

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