Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

La France reconnaîtr­a-t-elle le massacre d’Oran ?

Dans un documentai­re présenté en avant-première demain au Cum, Georges-Marc Benamou dénonce la « coalition du silence » qui pèse, encore cinquante-six ans après, sur ce jour sanglant

- Recueilli par LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

5 juillet 1962. Une chaleur de plomb étouffe Oran la radieuse. C’est la date choisie pour célébrer l’indépendan­ce toute récente de l’Algérie. Ce devait être un jour de fête. C’est devenu un jour de sang et de mort. 700 pieds noirs, chrétiens et juifs, ont été massacrés, enlevés, jetés dans des charniers. Paris savait. Le général De Gaulle savait. Il a donné l’ordre aux militaires français de ne pas intervenir. La France a fermé les yeux et les livres d’histoire. Cinquante-six ans après, Georges-Marc Benamou et Jean-Charles Deniau revisitent ce « trou noir » de l’histoire dans un documentai­re intitulé Oran, ce massacre oublié et présenté en avant-première à Nice, demain.

Oran, le massacre oublié, c’est l’histoire du dernier grand mystère de la Guerre d’Algérie…

C’est l’équivalent de la peste qui s’est abattue sur la ville la plus douce d’Algérie. C’est un scandale. « Un trou noir entre la fin de la Guerre d’Algérie et le début de la révolution algérienne » ,dit l’historien niçois Alain-Gérard Slama. Une Saint-Barthélemy totalement enfouie, niée par le pouvoir français comme par le pouvoir algérien. En France, on n’a pas pris au sérieux cette histoire. Il y a eu une coalition du silence de la droite gaulliste et de la gauche anticoloni­aliste. C’est un mensonge d’État comme on a menti sur les harkis. Selon le pouvoir gaulliste, il y a eu vingt morts. Les historiens ont montré qu’en fait, il y en a eu sept cents. C’est la journée la plus meurtrière de la Guerre d’Algérie. Mais idéologiqu­ement cette journée ennuie tout le monde. Cela reste une tache pour le pouvoir français et pour une partie des révolution­naires algériens.

Pourquoi ce documentai­re?

J’ai décidé d’ouvrir tous les placards de l’histoire de France, notamment ceux de la guerre d’Algérie. Comme j’ai été un des premiers à dénoncer le massacre scandaleux du  octobre  perpétré par la police de Papon, je dénonce le massacre d’Oran. Je trouverais normal, légitime, minimum, qu’il y ait enfin une reconnaiss­ance de la République. Il faut en finir avec l’hémiplégie de l’histoire. Il faut faire parler toutes les mémoires.

Comment avez-vous travaillé ?

Depuis une quinzaine d’années, grâce aux travaux des historiens Jean Monneret et Jean-Jacques Jordi, grâce à mon livre, Un mensonge français [éd. Robert Laffont], on commence à lever le voile. Ce documentai­re est un travail d’enquête et d’investigat­ion apolitique et approfondi. Avec Jean-Charles Deniau, nous avons instruit pour la première fois un dossier étayé et sérieux, un travail nourri de documents longtemps classés secret défense et révélés pour la première fois. Un travail bâti autour de témoignage­s de Niçois. Nice est la capitale d’exil et d’adoption des Oranais.

Il y a aussi le témoignage de l’adjoint du général Katz qui représenta­it De Gaulle à Oran et qui continue de nier l’ampleur du massacre envers et contre les historiens…

Il est aujourd’hui stupéfiant d’entendre un haut fonctionna­ire français dire : « Les pieds noirs n’ont eu que ce qu’ils méritaient : leur petit massacre. » L’État doit répondre ! On ne peut rien faire contre la mauvaise foi du gouverneme­nt algérien mais on peut reconnaîtr­e que le gouverneme­nt de De Gaulle a couvert ce massacre d’État. La France a dit : on ne va pas sauver les Français car sinon on relance la guerre. Cette raison d’État a broyé des centaines de vies. Je suis en colère. Ce De Gaulle-là est au comble du cynisme assassin quand celui du -Juin est admirable.

La France a abandonné les pieds noirs mais qui a tiré sur la foule ?

La question de la préméditat­ion reste un angle mort de cette histoire. Les commandos de l’OAS étaient partis. On ne peut pas exclure l’influence d’un clan politique à l’intérieur de l’armée algérienne et une sorte d’exultation mortifère contre le colonisate­ur.

Oran, c’est aussi une partie de votre histoire personnell­e ?

Oran et sa wilaya [région], ce sont des paysages d’enfance mais ma vraie attache, c’est la Méditerran­ée. Moi, j’ai eu la chance de quitter l’Algérie en juin  en avion. J’ai grandi à Nice. On habitait près de la fac de sciences à Valrose. J’ai été au lycée du Parc-Impérial à la fac de droit où j’ai obtenu mon diplôme d’avocat. J’ai vécu une très belle jeunesse. J’ai quitté cette ville en  mais j’y reste très attaché. Ma mère y habite toujours. Nice a changé, elle est plus fun que quand j’étais étudiant. Elle a rajeuni, mué sans s’enlaidir.

Comment sortir de l’histoire passionnel­le de la Guerre d’Algérie ?

Une des solutions c’est de dire toutes les vérités gênantes. Dire ce qui s’est passé à Sétif, au congrès de la Soummam [réunion des dirigeants de la révolution algérienne en ]. Dire la vérité sur les divisions du FLN, sur les dessous de la bataille d’Alger. Ce n’est que comme ça qu’on arrivera à une mémoire commune. Certains écrivains algériens font la passerelle : Boualem Sansal, Kateb Yacine Kamel Daoud ou encore Yasmina Khadra. Alice Zeniter aussi pour les écrivains français. C’est davantage par les écrivains que par les politiques qu’on trouvera une issue.

La politique, pour vous, c’est fini ?

Je préfère ne pas être trop au coeur de la machine. C’est un peu décevant…

Vous avez eu l’oreille de plusieurs Président. Que pensez-vous de Macron ?

Je souhaite qu’il réussisse. C’est une période très compliquée notamment sur le plan européen.

Vos projets ?

Boucler un roman historique, faire d’autres films et partir en vacances…

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