Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Nice, autoroute urbaine et de contournement, et viaducs
Yvan Gastaut propose, un lundi sur deux, son regard sur l’actualité…
L’effondrement du « pont Morandi » à Gênes le août dernier à h est encore dans tous les esprits. L’horreur suscitée par cette tragédie des temps modernes au coeur de l’été nous a bouleversés. À juste titre, Nice-Matin y a consacré de nombreuses pages. Vendredi et samedi dernier encore, sous la plume de Stéphanie Gasiglia, une enquête en deux volets évoquait les conséquences néfastes de la catastrophe sur la capitale de la Ligurie et ses habitants.
Nice et Gênes, une même topographie
Il faut dire que pour les Niçois et plus largement les Azuréens, cet accident résonne d’une manière toute particulière. D’abord parce que les liens avec la Ligurie sont étroits : la solidarité immédiate affichée par Christian Estrosi quelques minutes après l’accident en témoigne. Et puis parce que chacun d’entre nous a emprunté ce pont un jour ou l’autre… Avec toujours ce sentiment inquiet, en arrivant dans les faubourgs de Gênes, d’avoir à emprunter des infrastructures impressionnantes et un peu délabrées. Sur cette autoroute devenant quasiment urbaine, le parcours devient sinueux, les échangeurs s’avèrent compliqués et les voies sont serrées : à tel point qu’à l’annonce de Gênes, l’automobiliste est contraint de devenir plus vigilant. Autre élément de proximité avec cette histoire, une topographie similaire : comme Gênes, Nice se situe entre la mer et le relief avec des possibilités limitées en matière de transport. Le tracé des routes et autoroutes adaptées à modernité n’a pu se faire qu’au prix de travaux colossaux engendrant des ouvrages spectaculaires que ce soit des tunnels, des viaducs ou des ponts.
Le fléau des embouteillages
Au moment où le « pont Morandi » est inauguré, en , les élus niçois s’interrogent sur l’organisation de la circulation en ville au même titre qu’au Conseil général : la réflexion est intense autour du tracé des grands axes locaux avec comme point d’orgue l’autoroute. Car il s’agit de résoudre dans l’urgence un problème devenu inextricable : les embouteillages. À l’ère de la société de consommation, l’automobile structure nos univers. Il suffit de regarder des images de Nice dans ces années-là pour y voir partout de voitures. Là où aujourd’hui elles ont disparu ou presque comme dans la vieille ville, sur le cours Saleya, la place Masséna ou l’avenue Jean-Médecin, leur moteur vrombissait tout puissant. Concernant Nice, il faudra trente ans pour venir à bout de ces difficultés.
Contourner la ville par les collines
Entre le début des années soixante et la fin des années quatre-vingt, deux axes vont se dessiner afin de fluidifier la circulation. D’une part, il s’agira du contournement de la ville par les collines en reliant la vallée du Var à celle du Paillon. Ce projet de très grande envergure revêt une double importance: au-delà de la circulation en ville, il s’agit d’assurer une continuité autoroutière nationale voire internationale permettant de relier Paris à Rome par autoroute sans aucune discontinuité. Ce qui représente un atout non négligeable pour la Côte d’Azur offrant dès lors une alternative à ceux qui, venant du nord, se rendaient en Italie par le Tunnel du Mont-Blanc. Ainsi, les collines, jusqu’alors si paisibles sont investies par des travaux publics de longue haleine au début des années soixante-dix. Et bientôt des viaducs sortent de terre comme celui qui enjambe le vallon des Fleurs ou celui, encore plus spectaculaire, qui surplombe le vallon de la Madeleine à plus de mètres de hauteur. Il faudra attendre une bonne décennie pour pouvoir pleinement circuler avec deux fois deux voies entre Var et Paillon sans avoir à pénétrer en ville. Reste à savoir s’il s’agit d’une autoroute ou plutôt d’un périphérique, ce qui aurait permis la gratuité : le débat à ce sujet reste vif encore aujourd’hui. D’aucuns estiment scandaleux de devoir s’acquitter d’un péage pour emprunter ces voies notamment à Saint-Isidore. En tout cas, ces tunnels et surtout ces viaducs, sont devenus des incontournables du cadre urbain niçois : indispensables à la circulation, regrettables pour l’harmonie du paysage même si, en comparaison avec la Ligurie, on peut s’estimer heureux.
La « voie rapide »
Parallèlement à l’autoroute A, un autre vaste chantier se met en place progressivement au cours de ces trois mêmes décennies entre et : il s’agit de l’Autoroute Urbaine Sud (AUS) située au beau milieu du tissu urbain et que l’on nommera par la suite « voie rapide » ou plus officiellement voie Pierre-Mathis. Ce nom si bien connu des Niçois est celui du directeur général des Travaux et des Services techniques de la ville entre et . Il a été l’un des principaux artisans de la mise en oeuvre de cet axe urbain majeur qui a alimenté la chronique durant l’ère Médecin. Déclarée d’utilité publique en , afin de « doubler » la Promenade des Anglais, sa mise en oeuvre se fait par tronçons successifs permettant à terme de relier Saint-Augustin à l’ouest au Paillon à l’est. En , la section entre Saint-Augustin et Saint-Philippe prend forme. Puis en , c’est au tour de la section entre Saint-Philippe et la rue de l’Abbé-Grégoire avant, en , le tunnel Malraux creusé sous le quartier de Cimiez. Mais le plus difficile et qui s’annonce le plus spectaculaire se situe au niveau de ce qui sera le coeur de cette voie rapide, là où les aménagements sont les plus délicats en raison de la présence de la gare et d’un tissu urbain dense. Il faudra passer par la voie aérienne. Outre l’échangeur sous forme de « toboggan » de la rue ReineJeanne mis en service partir de ( poutres géantes en béton posées à l’aide d’un lanceur métallique), le viaduc entre SaintPhilippe et l’avenue Malaussena sera achevé en .
, l’inauguration du tronçon aérien
Et il faut encore attendre pour voir enfin émerger la « voie rapide » dans une version complète. L’événement est de taille : « depuis hier, il est possible de traverser le centre sans rencontrer un feu rouge » se réjouit Nice-Matin au moment de l’inauguration de la section centrale de l’Autoroute Urbaine Sud par Jacques Médecin devant un parterre de personnalités placées sur le pont même, pour une fois vide de tout véhicule. Pour ce tronçon aérien, il a fallu quinze mois de travaux totalisant millions de francs. Le maire salue l’exploit technique qui a consisté à ériger un viaduc haut de parfois plusieurs dizaines de mètres au-dessus des habitations, long de mètres et large de mètres ( travées de mètres en moyenne reposant sur des portiques transversaux). Un véritable tournant pour soulager le trafic en centre-ville. Même si par la suite d’autres important aménagements seront encore réalisés le chantier lancé vingt-cinq ans plus tôt touche au but. Jacques Médecin précise que ce projet a été «à la charge du budget municipal et donc du contribuable niçois». Un temps envisagée, l’idée d’un péage a été finalement abandonnée notamment face à la colère naissante chez les automobilistes. Adopté en août , ce texte permet aux collectivités locales de percevoir des péages sur les ouvrages de raccordement entre deux autoroutes. Depuis cette époque, comme Gênes, Nice est devenue une ville de tunnels et de viaducs. Par la force des choses. Ces réalisations peu esthétiques ont été en leur temps indispensables. Elles le restent, avec sans doute le souci toujours plus affirmé de la fiabilité et de la sécurité surtout après la tragédie du « pont Morandi » le août dernier.