Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Jean Bouin, un patrimoine omniprésent
Yvan Gastaut propose, un lundi () sur deux, son regard sur l’actualité…
C’est « à Jean-Bouin » que les Niçois de l’après-guerre ont découvert le sport. Aujourd’hui encore c’est « à JeanBouin » que leurs enfants et petits enfants viennent nager, patiner ou éprouver le plaisir de l’effort physique. Jean Bouin, une figure incontournable du paysage de notre ville comme dans celui d’innombrables communes de France qui ont choisi de placer son nom au fronton de leurs enceintes sportives, voire de leurs établissements scolaires. À Nice, son nom avait été donné au stade d’athlétisme qui, en , avait été édifié sur l’ancienne place du XVe-Corps (un premier stade dit « du XVeCorps » y avait déjà été inauguré en puis rapidement dégradé en temps de guerre), s’étant ellemême substituée à l’ancienne place d’Armes. Au-delà de la pratique du haut niveau, ce stade a été un indispensable « plateau d’évolution » pour les professeurs d’éducation physique des établissements scolaires du secteur. Et un souvenir inoubliable pour plusieurs générations de Niçois.
Du stade au palais des sports
Puis, dans le cadre de la modernisation des rives du paillon et des alentours du palais des expositions (qui date de ) dont la rénovation est voulue par Jacques Médecin, le stade JeanBouin est démoli. Nous sommes en : en lieu et place, le maire veut aménager un parking relié directement au palais en pleine modernisation. Et rien d’autre. C’est sans compter les pressions de son adjoint aux Sports, Charles Erhmann : ce dernier convainc Jacques Médecin d’ajouter une piscine et une patinoire à ce nouvel édifice dont le chantier commencera en juillet . Deux ans plus tard, le avril , le maire de Nice inaugure le nouveau palais des sports flambant neuf, situé au , rue Jean-Allègre. L’équipe municipale livre ainsi à ses concitoyens deux superbes équipements superposés : une patinoire qui favorisera le développement du hockey-sur-glace (comme on le constate aujourd’hui avec la présence des Aigles de Nice au sein de l’élite de ce sport) mais aussi le patinage artistique pour tous et plus prestigieux encore, une des plus modernes piscines olympiques de l’époque. Et surtout, l’ensemble conserve la marque Jean-Bouin, puisque, comme le stade disparu, le nouveau complexe prend également le nom du glorieux athlète, assurant une continuité à l’esprit des lieux. Plusieurs nouvelles générations de Niçois y découvrent et pratiquent le sport, entretenant, sans doute sans en avoir conscience, les valeurs portées par Jean Bouin.
Redécouvrir Jean Bouin
Mais qui est Jean Bouin ? Qui sait ou se rappelle que ce nom est celui de l’un des plus fameux champions français de course à pied du début du XXe siècle ? Qui sait que ce champion est recensé parmi les premiers morts de la Grande Guerre. Ce qui, en cette année de commémoration, nous interpelle de manière toute particulière. En outre, le décembre est aussi la date anniversaire de la naissance de Jean Bouin, venu au monde en . Pour cette occasion, Bernard Maccario, historien niçois du sport et des pratiques physiques livre une excellente biographie du grand homme : Jean Bouin, héros du sport et de la Grande Guerre ,qui vient de paraître aux éditions Chistéra. On y apprend que cette courte mais intense vie a croisé à plusieurs reprises Nice et sa région. Car Jean Bouin n’est pas niçois mais marseillais et c’est dans la cité phocéenne qu’il repose. Avec ses titres et records, ce héros national à la belle moustache, ne reniant jamais son identité méridionale, domine le monde de la course de fond et incarne une France victorieuse capable de rivaliser avec les Anglais, inventeurs des sports modernes. Il est ainsi le premier tricolore à les vaincre sur l’un de leurs terrains de prédilection : le cross-country. Il brille, en remportant trois années d’affilée (de à ) la fameuse épreuve du Cross des Nations, sorte de championnat du monde de cette discipline alors très populaire dans l’Hexagone. Jean Bouin se montre aussi capable de conquérir le record le plus prestigieux de l’époque, celui de l’heure : le juillet , à Stockholm, il devient le premier homme à dépasser les kilomètres au bout de soixante minute d’une course, seul contre la montre. Il triomphe aussi sur la route, remportant à cinq reprises (en puis chaque année entre et ) une épreuve qui nous est chère : la course NiceMonaco, ancêtre du semi-marathon appelé depuis sa relance en course du Soleil (la prochaine édition aura lieu le janvier). L’un des sommets de sa carrière sera l’obtention de la médaille d’argent aux Jeux olympiques de Stockholm en sur mètres.
Héros sportif et militaire
Par-delà les succès qu’il apporte à la France, lui permettant d’apparaître comme une nation athlétique reconnue au plan international, Jean Bouin est un précurseur dans plusieurs domaines comme celui de l’entraînement qu’il est un des premiers à aborder de manière méthodique et raisonnée. Bien avant d’autres, il a aussi perçu tous les bénéfices que la communication et les médias pouvaient apporter à sa notoriété. Ainsi, tout en étant encore athlète de haut niveau, il rédige des articles pour le magazine sportif illustré La Vie au grand air. Il n’hésite pas à livrer les secrets de son entraînement et à participer à des débats sur le devenir de sa discipline y compris en s’exposant aux polémiques. Jean Bouin s’essaie même au cinéma… Il est, à bien des égards, en avance sur son temps dans sa manière de vivre le sport. S’il avait vécu plus vieux, on peut penser que son destin dans le monde du sport aurait pris une envergure encore plus impressionnante. Mais l’histoire en a voulu autrement. La Première Guerre mondiale a eu raison de ce grand homme, comme bien d’autres. Car Jean Bouin incarne, jusqu’au sacrifice, les vertus d’un patriotisme qu’il a exprimé tant par ses exceptionnelles qualités d’athlète que par sa bravoure, armes à la main. Le champion est fauché par un éclat d’obus, dès les premières semaines du conflit, le septembre : il avait ans.
Mort sous les couleurs niçoises
Une mort intimement liée à Nice car c’est sous les couleurs niçoises qu’il aura vécu ses derniers jours. C’est à Nice que le champion marseillais effectue son service militaire en au sein d’un régiment d’infanterie stationné au fort de la Revère, audessus d’Èze-village. Lors de la mobilisation générale d’août , Jean Bouin est incorporé au e Régiment d’infanterie de Nice qui s’illustrera lors de la bataille de Flirey en -. Simple soldat de deuxième classe mais avec la fonction d’instructeur de sport des armées liée à ses exploits, il aurait pu rester à l’arrière. Mais il refuse, exigeant d’être placé dans une unité combattante. Le septembre , c’est le départ de Nice pour le front sur la Meuse où la mort l’attend au tournant. Sa disparition au champ d’honneur, auprès de ses compagnons « nissarts », est évoquée par Louis Nucéra dans son roman, Chemin de la Lanterne. On comprend mieux pourquoi Nice a souhaité témoigner attachement et affection à Jean Bouin en donnant son nom au stade d’athlétisme sur la si symbolique place du XVe-Corps ellemême hommage aux unités alpines de la garnison de Nice. Et comme un symbole, c’est dans la piscine du palais des sports JeanBouin que Yannick Agnel et Camille Muffat ont préparé, sous la direction de Fabrice Pellerin, leur moisson de médailles aux Jeux olympiques de Londres en , établissant ainsi un lien entre leur génération et celle de l’un des premiers héros du sport français.
(1) Cette chronique a été reportée en raison de l’actualité.