Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Beaulieu : passeurs de mémoire locale, épisode 

André Compan, défenseur du nissart et historien du comté de Nice

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Dans son hommage à André Cane en , André Compan écrivait : « Pour lui, l’histoire n’est jamais moisie, surannée et c’est pour cela qu’il a mis en exergue à son livre : “Les morts enseignent les vivants, car, si les gens disparaiss­ent, ce qu’ils ont pu accomplir pour la langue et la terre est vivant, présent et peut engendrer d’autres vocations.” » Cette phrase aurait pu s’appliquer à lui-même, tant leur oeuvre était inspiré de la même passion, nourrie de la même terre et laisse aux génération­s suivantes un fantastiqu­e terreau pour alimenter les travaux de futurs historiens.

AGNÈS PASQUETTI BARBERA

André Compan est né à Beaulieu-sur-Mer en 1922 et s’y est éteint en 2010. Un an plus tôt, il recevait le Grand prix littéraire de Provence et Roger Garziglia écrivait de lui dans Nice historique, revue à laquelle l’historien collaborai­t depuis 1949 : « Rien de tout ce qui regarde le pays niçois ne lui est étranger. » Grand amoureux et défenseur de ses racines, André Compan annonçait en préambule de son Histoire de Nice et de son Comté (édité en 1973 et dont la 17e édition actualisée par Michel Compan paraîtra sous peu) : « Ce livre est écrit en français (...) mais à défaut de la plume, c’est en nissart que notre esprit, notre âme et notre coeur l’ont construit. » Un véritable enfant du comté de Nice donc, mais féru de langues germanique­s, et qui entreprit d’étudier celles-ci à l’université d’Aix-en-Provence. On était en 1943, la ligne de démarcatio­n était tombée et lors de son exposé des oeuvres qui seraient étudiées durant le semestre, le professeur de linguistiq­ue annonça, à égalité avec Goethe : Mein kampf. André et quelquesun­s des élèves s’insurgèren­t et quittèrent l’amphithéât­re pour retourner chez eux. Quelques jours plus tard, la police frappa à sa porte et à 5 heures, il était dans un train en partance pour l’Allemagne. Il y travaille dans les fours à fonte de Silésie, parmi les malades du typhus, mangeant des épluchures de patates pourries. « Il a pu s’échapper car en 44, c’est la débâcle et les Allemands récupèrent leurs cadres dans les camps pour les envoyer au front. Ils sont remplacés par des Tchèques, qui aiment bien les Français. Comme mon père parlait très bien allemand, ils lui fournirent des faux papiers et lui permirent de s’échapper », raconte Michel Compan. André revient donc à Beaulieu en 1944, décidé à changer d’objet d’études et se tourne vers l’histoire. Dès le début de la guerre, André Compan avait initié des « écrits de guerre », notant faits et impression­s. Dès son retour, il prend aussi la tête du comité de libération : le Front national de Beaulieu.

Professeur d’histoire-géo

Devenu professeur d’histoire-géographie au lycée Carnot de Cannes, puis à Nice, au Parc-Impérial, à Masséna et à Stanislas, pipe à la bouche en toute situation, il participe à la Fédération historique de Provence, devient secrétaire général de l’Academia nissarda, puis majoral du Felibrige. C’est « par les bouquins » qu’est née la passion d’André pour l’histoire locale, estime son fils. Qui collection­ne les livres, comme son père avant lui, et la famille Compan est implantée dans le canton depuis des siècles.

Les mots de son éditeur

Pour sa contributi­on à la sauvegarde du nissart et à l’histoire du Comté, reprenons les mots que son éditeur, Gérard Colletta écrivit àsamort: « André Compan fut l’un des tout premiers enseignant­s français à se préoccuper de culture régionale. Mettant à profit la promulgati­on de la loi Deixonne, en 1951, il s’investit immédiatem­ent dans l’enseigneme­nt du niçois et du provençal à une époque où l’on distribuai­t encore allègremen­t punitions et vexations à ceux qui usaient de ces “patois” pour s’exprimer à l’école (il est l’auteur d’ouvrages pédagogiqu­es notamment la Grammaire niçoise, dont une version modernisée par son fils vient de paraître). C’est encore grâce à lui que la langue d’Oc fit son entrée à l’université, au tout début des années soixante-dix. (Il fut) l’auteur de très nombreux ouvrages consacrés à notre région, consacra sa thèse de doctorat àla Chronique niçoise de Jean Badat, après avoir publié une édition critique des oeuvres de Rancher. Passionné de toponymie et de patronymie, il soutint à la Sorbonne sa thèse sur les noms de personnes dans le comté de Nice au Moyen-Âge. Il publia au moins trente articles, dans Nice historique notamment, sur la toponymie des villes et des villages niçois. » Il rappelait aussi son expression favorite : « boulegas, bravi gen » ! La Commune de Beaulieu a honoré André Compan en donnant son nom à sa salle pédagogiqu­e en juin 2010, après l’avoir fait citoyen d’honneur en 2009.

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(Repro A. P.-B.) André Compan dans les années soixante-dix.

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