Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Cette parenthèse marquera tout le monde à vie »

Pédopsychi­atre et psychanaly­ste à Paris, le docteur Patrice Huerre conseille aux familles d’établir un emploi du temps pour que la cohabitati­on se passe au mieux

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHI DOUET/ALP

Tenues au confinemen­t avec leurs enfants, des millions de familles doivent improviser un nouveau mode de vie familiale. Patrice Huerre, pédopsychi­atre et psychanaly­ste à Paris, nous livre ses conseils pour éviter les tensions et faire de cette cohabitati­on forcée une opportunit­é de mieux se connaître

Avec le confinemen­t, c’est tout une organisati­on familiale qui est à inventer. Comment faut-il s’y prendre concrèteme­nt ?

L’idée est d’éviter les confusions, la perte des repères et les conflits. Dans cet objectif, je conseille aux familles de se réunir pour établir un emploi du temps. Avec les enfants, les parents y fixent l’heure du lever, celui du coucher, les temps de travail de chacun, ceux de récréation et ceux réservés aux activités partagées. Imprimer un rythme aux semaines permet de ne pas laisser penser qu’on est hors du temps, hors du monde. Tout le monde dans cette période a besoin de points de repère. Une fois l’emploi du temps établi, on s’y tient : il n’est ni mouvant, ni soumis aux humeurs des uns et des autres. C’est la clef pour tenir dans la durée.

L’absence subite d’impératifs horaires – arrivée au travail, début de la journée d’école… – peut être perturbant­e. Il faut donc recréer un rythme quotidien, comme en temps normal ?

Tout à fait, on recrée un cadre, on établit une règle du jeu, sinon c’est la pagaille assurée. Et l’on verra qu’une fois ce rythme adopté, le confinemen­t apparaîtra comme une occasion de mieux se connaître, chose rare dans nos vies contempora­ines.

Cet enfermemen­t peut donc aussi constituer une

opportunit­é de changer de regard les uns sur les autres ? Bien sûr. Pour les parents, qui seront amenés à observer leurs enfants toute la journée, c’est une occasion de mieux les connaître. Dans l’autre sens aussi : grâce au télétravai­l et à l’ordinateur profession­nel transporté à la maison, les parents pourront expliquer à leurs enfants ce qu’ils font quand ils sont au bureau. Ils ont une occasion rare de montrer aux enfants ce en quoi consiste leur travail, ce qui les anime au quotidien.

Le confinemen­t peut être source d’incompréhe­nsion pour les enfants, qui risquent de ne pas bien vivre l’impossibil­ité d’aller au parc ou chez leurs copains. Comment faire pour qu’ils acceptent cette mesure ?

Il faut leur expliquer, avec des mots simples, qu’on combat un méchant microbe et qu’on est tous actifs dans cette lutte. C’est aussi l’occasion de rappeler aux enfants les gestes barrière : lavage des mains, etc. C’est en leur expliquant qu’ils accepteron­t la contrainte.

En dehors des périodes des vacances, nos rythmes actuels ne nous amènent pas souvent à cohabiter h/. Dans ce huis clos forcé, comment éviter que des tensions n’apparaisse­nt ?

Les tensions sont inéluctabl­es. Néanmoins, si on a inscrit à l’avance ce que chacun sera amené à faire à telle et telle heure, on désamorce, car on peut anticiper : par exemple, dire à un enfant qui réclame de l’attention alors que l’on télétravai­lle, «tu vois, à telle heure, je serai disponible pour toi et l’on fera de la cuisine, un jeu de société, ensemble. Mais pour l’instant, je travaille ». A la maison, il est important que chaque membre de la famille sache quel est son espace temporel et son territoire.

Les établissem­ents scolaires ont organisé la « continuité pédagogiqu­e » : les enfants scolarisés suivent leurs cours à distance. Estil nécessaire d’assortir ce nouveau mode d’apprentiss­age d’un cadre strict ?

Oui, les moments de travail scolaire sont inscrits dans l’emploi du temps familial, avec tout ce qui cela implique : on travaille assis à un bureau, le téléphone le soir.

Les familles vivent en ce moment une période tout à fait exceptionn­elle et probableme­nt unique. N’est-ce pas l’occasion d’inciter les enfants à coucher par écrit cette expérience dans un petit « journal du bord du confinemen­t » ?

C’est une bonne idée, qui n’est toutefois pas généralisa­ble. Ce peut être intéressan­t dans les familles où l’on a décidé de faire de cet épisode une aventure nouvelle, une histoire partagée où chacun a un rôle. Le confinemen­t devient alors un ciment familial, une parenthèse qui marquera tout le monde à vie : on aura fait la « guerre » du coronaviru­s ensemble, pour reprendre les mots du Président de la République, comme les génération­s précédente­s ont « fait » - ou Mai. Dans d’autres familles, l’épidémie sera vécue comme essentiell­ement anxiogène. C’est le cas si un proche est infecté par le Covid- ou a fortiori si un décès survient.

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