Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Oublions le présent, pour mieux l’affronter

- de PATRICE MAGGIO Directeur adjoint des rédactions du groupe Nice-Matin edito@nicematin.fr

Un éditorial garanti sans coronaviru­s. Exercice quasi impossible tant le sujet nous aimante, comme si nous étions en orbite autour de lui. Et comment ne pas l’être... Toute l’actualité mondiale nous y ramène inexorable­ment. Ne parlons donc pas du présent. Parlons de Suzy Delair. Elle vient de mourir, à l’âge de  ans. Étoile du cinéma français des années quarante. Autant dire une parfaite inconnue pour la plupart d’entre vous. Elle a connu son heure de gloire quand la guerre, la vraie, avec son « terrible cortège », pour citer du Malraux, de malheurs harassait notre pays. Quand la paix, la fête, les embrassade­s sont passées et qu’il a fallu relever, des années durant, un pays outragé, brisé, martyrisé tant économique­ment que psychologi­quement. Quand le moral descendait dans les chaussette­s trouées, il y avait Suzy Delair. Dans « Quai des orfèvres » en , elle joue, entre Louis Jouvet et Bernard Blier, une jeune chanteuse avide de réussite devant la caméra d’HenriGeorg­es Clouzot. Quatre ans auparavant, ce même réalisateu­r tournait « Le Corbeau », un film noir, sur la lâcheté, l’égoïsme, la violence des foules quand les temps sont troublés et que la France s’occupe si mal. « Quai des orfèvres » est un polar, mais un polar joyeux, la chronique tendre et amusée de l’immédiate après-guerre, dans un Paris sans-le-sou où toutes les ambitions sont permises, voire encouragée­s. La force du film, c’est de jouer sur le contraste entre une époque si difficile et le charme enjoué de Suzy Delair. Bouche chargée d’un rouge à lèvres qu’on suppose outrageant malgré le noir et blanc, elle chante « Avec son tralala », une ritournell­e futile, une ode à la vie : « Elle habitait Séville et de toute la ville, c’était la plus agile de toutes les gitanas. Elle avait quelque chose d’exceptionn­el que les autres n’avaient pas, son petit tralala ». Pas de grands couplets mais un refrain entêtant : jouir du temps présent, profiter du petit espace de liberté que les circonstan­ces nous accordent, sans céder, ni à la psychose, ni à la déprime. De ce petit tralala-là, on fait vite le tour. Mais la petite musique qu’il instille, cet optimisme tempéré, qui ne rime pas avec ignorance de la réalité, mérite de tourner en boucle, aujourd’hui encore, aujourd’hui tout particuliè­rement. Delair, de l’air !

« Pas de grands couplets mais un refrain entêtant »

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