Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
« Le cancer prime, on ne doit pas différer la prise en charge »
Eviter une deuxième vague de victimes, collatérales cette fois, du Covid. Des oncologues alertent sur un retard de prise en charge de patients atteints de cancer, liés à la préservation des lits de réa
Des malades du cancer, heureusement encore minoritaires, qui annulent leurs rendez-vous chez l’oncologue, effrayés par tout ce qu’ils entendent sur les risques de contamination. D’autres, plus nombreux, qui craignent à l’inverse qu’on ne les prenne plus en charge. Les deux populations ont tort. En grande partie. Car si dans les textes il est bien prévu que la cancérologie n’est pas concernée par la déprogrammation des interventions dites « non urgentes », la réalité est plus nuancée. Face à l’épidémie de Covid-19, les équipes médicales naviguent «àvue» , en réévaluant la balance bénéfice/risque, heure par heure. Le Dr Jérôme Barrière, oncologue médical à la polyclinique Saint-Jean (Cagnes-sur-Mer) et praticien attaché au centre Antoine Lacassagne (Nice) s’inquiète des effets à court terme sur la santé des malades et tire la sonnette d’alarme.
Dans les recommandations, la chirurgie du cancer est prioritaire.
Oui, mais dans les faits, c’est du cas par cas. On tend ainsi à reporter des interventions lourdes, comme une opération pour un cancer du poumon ou de l’oesophage par exemple, si on estime qu’il y a une éventualité de recours à la réanimation.
Pour quelle raison ?
Pour éviter de surcharger ce type de services. L’actualité nous montre qu’en cas d’épidémie, ils se retrouvent très vite en surchauffe. Le Grand Est, région la plus touchée par l’épidémie, vit aujourd’hui une situation dramatique.
Laisser libres le plus de lits de réanimation pour accueillir les éventuels cas graves de Covid-, n’est-ce pas pertinent, à la veille d’une épidémie annoncée ?
Dans les jours présents, rien ne justifie que l’on diffère la prise en charge chirurgicale de malades du cancer. La situation sera peutêtre différente demain, mais aujourd’hui, il y a de la place dans les services de réanimation des départements encore épargnés, comme le nôtre. Et selon moi, le cancer prime : on ne doit pas différer les interventions.
Même si elles n’ont pas caractère d’urgence ?
Le problème, c’est que si on diffère aujourd’hui, on ne sait pas quand on va pouvoir opérer ces patients, puisque personne n’est capable de dire sur quelle période s’étendra la vague. Si elle dure plus de deux mois, et qu’il faut différer d’autant les interventions, cela risque de réduire les chances de guérison pour les patients atteints des cancers les plus agressifs.
Beaucoup de patients atteints de cancer doivent être traités par des chimiothérapies, thérapeutiques qui affectent le système immunitaire. Ces traitements doivent-ils être interrompus dans le contexte ?
Surtout pas ! Ils doivent être maintenus. Tous les établissements qui dispensent des soins oncologiques ont « sanctuarisé » le service pour que patients et soignants y soient en parfaite sécurité. Tout le monde est équipé de masques, des distances de sécurité de mètres sont imposées et bien sûr, aucun accompagnant n’est admis. Par ailleurs, dès l’admission, on évalue en fonction des signes cliniques (fièvre, tous…) s’il y a une suspicion de Covid-. En cas de doute, on repousse la chimio. Comme c’est le cas pour toute infection.
Que craignez-vous aujourd’hui ?
Je crains que le bouleversement de l’offre de soins associé au Plan blanc ne soit à l’origine d’une deuxième vague de malades graves, qu’on n’aura pas pris en charge suffisamment tôt, ou qui n’auront pas pu bénéficier des examens essentiels pour le diagnostic et la prise en charge, comme une coloscopie ou une fibroscopie ; on risque fort, si on ne tire pas la sonnette d’alarme de voir ainsi affluer en juin juillet des patients en phase avancée de leur maladie.
Que peuvent faire les malades eux-mêmes pour prévenir ce scénario catastrophe ?
Les patients qui sont inquiétés par des symptômes, quels qu’ils soient, sang dans les selles, écoulement par les seins etc., doivent consulter. Faut-il le préciser, toutes les maladies, au-delà du cancer, restent présentes, et requièrent, pour certaines, une prise en charge rapide : infarctus, embolies pulmonaires, pneumopathies infectieuses… Comme c’est le cas habituellement, il faut consulter.
La réponse est aujourd’hui très perturbée dans les cabinets médicaux.
Les médecins généralistes répondent au téléphone, les spécialistes dans leur majorité sont également joignables, il faut les appeler. Et si on est vraiment inquiet, il ne faut pas hésiter à aller aux urgences, sachant que tous les services d’urgences ont mis en place des filières dédiées Covid- et que la sécurité est donc assurée.
Pouvez-vous nous rappeler quelques chiffres sur le cancer
Le cancer, c’est quelque nouveaux cas et décès par an en France. Plus de patients par jour qui doivent continuer d’être diagnostiqués. Et traités.