Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Vols de masques et de gel : « On casse nos voitures ! »
Alors que le personnel soignant en manque cruellement, les équipements de protection contre le coronavirus sont volés jusque dans les véhicules. À Antibes, un médecin témoigne. Écoeuré
On devait s’y attendre. Rien de neuf à l’ouest. Pour moi, se faire casser la voiture pour du gel hydroalcoolique, c’est un non-événement... » Au téléphone, le ton du docteur D. se résume en un mot : écoeuré. Ce médecin libéral azuréen, âgé de 50 ans, ne tient pas à être cité. Parce que son histoire, ce « nonévénement », en raconte d’autres. Celle des personnels soignants qui, ces jours-ci, subissent les vols de ces si précieux masques et gels hydroalcooliques... Parfois jusque dans leur propre véhicule. C’est le cas du Dr D, donc. Il s’est fait voler cette semaine, chez lui, à Antibes. « J’ai laissé ma voiture dehors la nuit. Le lendemain matin, on me l’avait cassée. On m’a volé mon matériel médical. La veille, j’avais été doté du gel hydroalcoolique et de quatre masques FFP2. On a aussi volé mon tampon, mon lecteur de carte Vitale... Des trucs qui ne servent à rien. Tout ça pour avoir du gel chez soi, c’est bien ! » Écoeuré. Parce que d’autres professionnels de santé subissent le même type de « mésaventure » .Et cela n’a pas attendu la pandémie de Covid-19. « Le manque de solidarité, on le voit déjà d’habitude. L’incivisme, l’égoïsme sont mis en évidence dans cette période-là. » Mercredi soir, un camarade urgentiste du Dr D. a posté un message d’alerte sur Facebook. Le Dr Luc Terramorsi signalait deux vols commis dans des véhicules de médecins travaillant à Nice, dont celui du Dr D. « Enlevez tout signe distinctif de vos voitures, on se les fait casser ». Hier soir, son message avait été partagé deux cents fois. Suscitant colère et indignation.
« Un opinel pour se battre contre des roquettes »
En région Rhône-Alpes, ce fléau a d’ores et déjà conduit l’Union régionale des médecins libéraux à avertir ses adhérents. « Devant la recrudescence des actes de vandalisme visant des voitures de soignants à la recherche de masques ou de solution hydro-alcoolique, nous vous incitons à la plus grande prudence, et en premier lieu, à ne pas laisser vos caducées en évidence sur votre pare-brise. » Est-ce bien ce caducée qui a attiré le ou les voleurs à Antibes ? « Je suppose. Mais je ne sais même pas. Ce sont des trucs qui arrivent toute l’année », soupire le Dr D. Pour lui, l’enjeu du moment est ailleurs. Dans ces masques qui persistent à manquer, alors que la vague de cas graves liés au nouveau coronavirus s’apprête à déferler sur la Côte d’Azur. «Onserait prêt à aller au combat, mais on n’est pas équipé. On nous envoie à la guerre contre des roquettes avec un opinel ! » Écoeuré. Parce que le Dr D. a perdu du temps à déposer plainte. Parce qu’il y a « des gens dans la rue avec des masques toute la journée alors que nous, on n’en a pas. » Et parce que, comme ses confrères, il dépense une énergie considérable à s’équiper avant « d’aller au front. On est épuisé avant même la bataille. Et à côté de ça, il y a toujours des gens qui profitent des situations, qui ne pensent qu’à eux. » Dans les Alpes-Maritimes, la police nationale n’a pas eu connaissance, à ce jour, d’une recrudescence de vols de ce type. « Pour l’instant, nous n’avons pas reçu de signalement au Conseil de l’Ordre, réagit le Dr Hervé Caël, secrétaire général de l’Ordre régional des médecins de la région Sud. En revanche, nous avons eu des vols très importants de masques de protection et de solutions hydro-alcoolique. » De la part de visiteurs ou en interne ? « Sans doute un peu des deux... » Au comptoir des urgences, les gels ont disparu, cachés et distillés au compte-gouttes. Dans les couloirs hospitaliers, des masques ont disparu des chariots infirmiers. Pendant ce temps, le personnel soignant se bat pour sauver des vies. En attendant les masques.