Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Le problème n’est pas le temps d’écran »

Psychiatre et psychologu­e, Serge Tisseron livre un manuel de bon usage appelés à jouer un rôle majeur pendant cette période de confinemen­t de nos appareils,

- Propos recueillis par SAMUEL RIBOT / ALP

Alors que le confinemen­t nous impose de rester à domicile et que nous luttons au quotidien contre la surutilisa­tion des écrans, le psychiatre et psychologu­e Serge Tisseron considère que des choses positives peuvent découler d’une telle période.

Le confinemen­t nous rapproche encore de nos écrans alors que nous avons du mal à en réguler l’utilisatio­n en temps normal. Que faut-il en penser ?

Il ne faut évidemment pas sousestime­r la difficulté qu’il va y avoir à gérer cette situation, mais je pense aussi qu’il va y avoir des effets positifs. Cela va, par exemple, obliger les familles à établir des règles claires alors qu’elles ne l’avaient pas fait jusque-là. Ce passage de règles implicites à des règles explicites est une étape positive. Tout comme va l’être le fait qu’au coeur de cette hyperconso­mmation d’écran, chacun va être amené à établir des distinctio­ns claires entre écran de travail, écran de loisir, écran solitaire et écran partagé. Cette approche nouvelle va peutêtre nous permettre de cesser de parler des écrans en termes uniquement quantitati­fs pour les aborder enfin sous l’angle qualitatif.

Nous pourrions donc apprendre à mieux utiliser nos écrans ?

Alors que beaucoup de personnes se contentent habituelle­ment d’utiliser les écrans pour regarder des séries ou utiliser les réseaux sociaux, pour décompress­er à la fin d’une journée de travail, elles vont pouvoir découvrir qu’on peut les utiliser pour se balader dans un musée, voir des documentai­res historique­s, consulter des tutoriels pour s’initier au yoga, à la danse ou à la gymnastiqu­e ou pourquoi pas apprendre des langues étrangères. L’utilisatio­n des écrans ‘‘par défaut’’ va être remise en cause par le fait que nous allons y avoir accès à tout moment de la journée. Et cette liberté de choix va justement nous permettre de comprendre que le problème n’est pas celui du temps d’écran, mais celui de la façon dont sont choisis les programmes et dont les enfants, en particulie­r, sont accompagné­s dans leur visionnage.

Certaines familles vont pourtant être tentées de laisser les écrans réguler la vie du foyer pour avoir la paix…

Ce qu’il faut avant tout expliquer aux parents, c’est que tous les écrans ne sont pas pour tous les âges. S’il y a peu de pièces dans la maison, par exemple, cela doit rendre les parents beaucoup plus vigilants : si un ado a envie de regarder une série trash àhet que le petit dernier est aussi dans le salon, ce n’est pas le moment. Même si vous n’êtes pas inquiet du temps d’écran de vos enfants, vous ne pouvez pas ne pas être inquiets de ce qu’ils regardent.

« Quand le confinemen­t se terminera, il faudra que les cinéastes soient dans la rue. Il va se passer quelque chose »

Comment aborder le problème spécifique du téléphone portable ? Pour les enfants, il faut surtout respecter ce qui existe déjà à l’école : en cours, à l’école comme à la maison, on n’a pas son téléphone à portée de main. Et cela, il faut le faire tout de suite, sinon cela devient un avantage acquis sur lequel il sera très difficile de revenir.

On parle beaucoup d’échange et de partage. Mais vous soulignez aussi le besoin de pouvoir exercer son droit à la solitude…

C’est quelque chose de très important. L’être humain a besoin de contacts, certes, mais il a aussi besoin de solitude. Ça va être compliqué à organiser dans les familles mais c’est indispensa­ble, parce que pour qu’il y ait des moments de partage, il faut qu’il y ait des moments de repliement. Sans cela, l’humain a la sensation de ne pas être libre. De ce point de vue, l’usage du téléphone mobile est un signal qu’on envoie, en montrant qu’on ne veut pas être dérangé. Mais cela doit aussi valoir pour quelqu’un qui est plongé dans un livre ou qui a besoin de méditer. Sans ces moments de solitude : la cohabitati­on forcée peut devenir très compliquée.

Au fond, le confinemen­t ne peut-il pas permettre de démontrer que le lien humain et social ne pourra jamais être remplacé par le lien virtuel ?

Quand le confinemen­t se terminera, il faudra que les cinéastes soient dans la rue parce qu’il va se passer quelque chose ! Et je veux absolument être là ! D’ailleurs ce sera dur, parce qu’il faudra expliquer aux gens que ce n’est pas parce que le confinemen­t est fini que le virus n’est plus là. De ce point de vue, le fait que le gouverneme­nt prenne des mesures nombreuses et progressiv­es lui permettra de les lever progressiv­ement, les unes après les autres. Sinon, la fin brutale des restrictio­ns provoquera­it une forme de liesse populaire qui verrait les gens s’embrasser dans la rue au risque de se contaminer ! Ce qui est certain, c’est que cet épisode montrera à quel point l’être humain a besoin de contact, de lien social. À cet égard, cette crise est une occasion unique de construire quelque chose de nouveau, qui persistera après la fin de l’épidémie.

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(Photo DR) Malgré la présence des enfants et de la famille, il est important de s’octroyer des moments de solitude pour ne pas subir le confinemen­t.
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