Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Le Covid- contamine
La Haute assemblée de était réunie hier soir pour voter une résolution afin d’affronter la crise… mais les débats ont révélé les dissonances entre les élus et le gouvernement
Extraordinaire à plus d’un titre. La situation exceptionnelle que traverse la Principauté face à la pandémie de Covid-19 a donné lieu à une session publique extraordinaire du Conseil national hier soir. Publique, mais sans public ! Seuls les conseillers nationaux et le gouvernement, espacés par des distances de sécurité sanitaire, étaient réunis dans l’hémicycle pour se prononcer sur une résolution visant à soutenir la lutte contre le coronavirus et accompagner les résidents et l’ensemble des actifs et des acteurs économiques de la Principauté. La partie s’annonçait tendue car depuis le début de la crise, le Conseil national est monté au créneau pour demander au gouvernement des mesures plus fortes pour surmonter cette situation singulière. Et la séance a révélé les désaccords entre élus et ministres.
Un message du Prince
Et c’était sans compter sur un invité surprise dans cet hémicycle à huis clos : le prince souverain. Comme la Constitution le permet, Albert II avait choisi de faire lire un message – et c’est très rare – en ouverture de séance. Le Ministre d’État devait en être le lecteur. Ce dernier étant confiné à domicile pour cause de Covid-19, c’est par vidéo qu’il devait porter la voix du prince. Vidéo qui techniquement n’a jamais traversé la place de la Visitation. « Il y a des retards des services techniques du gouvernement. Je m’en excuse même si je ne suis pas responsable », lance le président
Stéphane Valeri agacé, en ouvrant la séance avec dix minutes de retard. Pour la suspendre aussitôt. Et reprendre l’antenne quelques instants après, donnant finalement la parole à Marie-Pierre Gramaglia pour lire le texte princier de vive voix (lire ci-dessous).
Éviter la polémique ?
Le message envoyé du Palais princier est clair : l’heure n’est pas à la polémique. Le souverain en appelle à la fibre nationale. Mais pour les élus qui ont découvert – par surprise visiblement – l’intervention princière sur le siège, la séance publique était attendue pour faire passer un message. Estimant qu’ils votent le budget et ont voix au chapitre dans les décisions prises par le gouvernement. Tant pis pour la préconisation princière ! Le président Stéphane Valeri, en prenant la parole, a plaidé : « Cette crise a évidemment une dimension politique, et l’opinion attend une gestion politique, une gestion proche des préoccupations de notre population, et pas seulement une gestion administrative de ce dossier. » Et déploré que le gouvernement n’ait pas cherché la concertation. « Le gouvernement ne doit pas refuser d’entendre le bon sens des Monégasques à travers leurs élus. Car notre seul but à tous dans cet hémicycle est que les meilleures mesures soient prises pour protéger notre population, nos acteurs économiques, ceux qui travaillent à Monaco, et que ces mesures soient expliquées de la meilleure manière possible à chacune et à chacun. Pourtant, depuis le début de cette crise, l’exécutif gouvernemental, arguant qu’il est l’exécutif, a longtemps prétendu savoir agir seul, sans concertation avec les élus ».
La com du gouvernement « pas à la hauteur »
La charge est lancée. Et le président Valeri la nourrit : « Nous n’avons eu jusqu’ici aucun échange, lors de la préparation de toutes les mesures par le gouvernement, ni sur la façon de les annoncer à l’opinion publique. Soyons clairs, la communication du gouvernement n’a pas été à la hauteur de la situation et en phase avec les attentes des Monégasques et des résidents. » Exemple, le 14 mars dernier, alors qu’en début de soirée la France annonçait la fermeture des commerces non essentiels à minuit, Stéphane Valeri a été le premier à réagir via Facebook vers 21 heures pour demander au gouvernement de se positionner. L’exécutif a annoncé une décision similaire à la France vers 22 h 30… Cette attitude, Stéphane Valeri l’a regrettée toute la soirée, au cours d’échanges parfois vifs. « Servez-vous du Conseil national, nous sommes le relais de la population, nous avons leur confiance, nous ne sommes pas des adversaires », assure-t-il à l’équipe gouvernementale. De l’autre côté du bureau, les conseillers de gouvernement, eux, avaient prévu d’intervenir à tour de rôle pour faire un point dans leurs domaines. Et la salve de questions lancées par les élus a échauffé les esprits. « Nous sommes dans une session extraordinaire, vos questions ne sont pas illégitimes, nous aurons une autre occasion d’y répondre », glisse Didier Gamerdinger.
« Accusés et accusateurs »
« On ne peut pas obliger un gouvernement à répondre à des questions s’il n’en a pas l’envie. Les résidents apprécieront. Répondre que vous n’avez pas à répondre, ce n’est pas une réponse », relance Stéphane Valeri, avant un échange vif, avec le secrétaire général Robert Colle, qui lui répond : « Nous ne sommes pas dans un débat entre accusés et accusateurs. Vous nous avez adressé 36 questions il y a quatre heures, nous prendrons le temps d’y répondre plus tard. » Hier soir, si la résolution a bien été votée pour avancer sur un certain nombre de points pour accompagner le pays dans la crise (lire page suivante), les deux bords n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la constitution d’un groupe de travail commun entre leurs deux institutions pour gérer la crise. « Tout le monde parle d’unité nationale, elle ne se décrète pas, elle se prouve », tance Stéphane Valeri, qui, en fin de soirée, après quatre heures de débats, estimait voir une note d’espoir et des «lignes qui commencent à bouger ». La pièce – même s’il n’y a plus de spectacle à l’affiche en ce moment en Principauté – du nécessaire pas vers l’autre entre élus et gouvernement s’est jouée maintes fois en Principauté, toutes mandatures confondues. Mais la représentation d’hier soir, mettant à jour de telles dissonances dans un moment aussi grave pour le pays, restera dans les annales. Extraordinaire.