Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
La liste de mes envies
C’est à peine le début. Et déjà, le confinement nous pèse. Outre ses effets sanitaires escomptés, il recèle pourtant une formidable vertu : permettre de mesurer à quel point, d’ordinaire, la vie n’est pas si moche. Rien de mieux que des privations pour redonner plein éclat à ces bonheurs simples, ces petits riens qui font le sel de l’existence mais que nous ne savons plus apprécier à leur juste valeur. En temps de « paix », il m’arrive de rêvasser d’un survol du Grand Canyon en hélico, d’une virée en felouque à Assouan, dans cette envoûtante Egypte trompe-la-mort, ou d’une croisière venant lécher les fjords du Grand Nord. Mais aujourd’hui, mes envies sont plus terre à terre. Elles sont d’abord d’Italie, si proche et si distante désormais. Syracuse, Taormine, Capri, Venise, Sienne, Côme, Assise, les Dolomites, Rome, il y a tant de splendeurs à y voir ou revoir. Dans l’immédiat, mon rêve est devenu bien fluet : un simple aller-retour à Vintimille, pour une ventrée de spaghettis, confinerait à l’extase ! Dans ce registre touristico-gastronomique, quel pied ce serait aussi de se taper treize heures de bagnole jusqu’en Bretagne. Je me vois déjà arriver à la pointe de l’Arcouest puis embarquer, béat, pour Bréhat, l’île merveilleuse, que nous arpenterions de long en large, en goûtant chaque once d’un paysage sans cesse transfiguré par la marée. Même les jérémiades des enfants implorant d’abréger la marche seraient douces. En chemin, nous nous serions arrêtés à Carcassonne pour y déguster un cassoulet à l’ancienne au coeur de la cité, puis à La Rochelle, étape fétiche sur la route des crêpes. Plus près d’ici, dès que tout cela sera fini, je brûle de me précipiter place Rossetti, dans le Vieux-Nice, pour y déguster ma glace préférée, chocolat orangette - melon verveine. L’ascension à vélo de la côte de Gourdon, en ahanant, me manque autant qu’un bon match de foot, avachi sur le canapé. L’assignation à résidence me ferait presque perdre la raison. J’ai hâte de retrouver mon fils sur un court de tennis, pour prendre une rouste que le poids des ans rend inéluctable. Pire, le délire guette, d’accompagner ma femme dans l’un de ces méga-centres commerciaux que j’exècre. Lorsque cette crise s’achèvera, nous en sortirons changés, plus aptes à savourer la vie sans geindre pour un oui ou pour un non. Mais ne nous berçons pas d’illusions : notre faculté à oublier occultera très vite l’intensité du bonheur retrouvé. Profitons donc pleinement, pour l’instant, du plaisir non négligeable de songer aux futurs bons moments qui nous attendent.
« Profitons du plaisir non négligeable de rêver aux bons moments qui nous attendent. »