Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Ces maladies, la rançon de la mobilité de l’humanité »

L’historien spécialist­e de la France paysanne du Moyen-Âge, revient sur les grandes épidémies qui ont frappé la France, en y soulignant des constantes

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ ALP

Dans l’histoire de France, l’épidémie la plus terrible mais aussi la plus récurrente est la peste ?

Oui. La plus importante est la peste noire, au XIVe siècle, qui a sévi de  à . Cette peste bubonique, terrible, tue environ un tiers de la population française, soit environ  millions de personnes. Ensuite, les pestes sont revenues au XVe siècle, à partir de  et il n’y a pratiqueme­nt pas eu une année sans peste jusque vers . J’ai retrouvé les témoignage­s, rares, de personnes infectées mais qui s’en sont sorties. Cela s’est ensuite calmé, avant un retour de la peste vers  avec des crises terribles jusqu’en  et des centaines de milliers de morts. Tout semble terminé vers , au début du règne de Louis XIV.

Jusqu’à la grande peste de Marseille ?

Elle surprend tout le monde en effet et revient en . Elle perdure jusqu’au début , et va tuer environ   personnes. On l’appelle impropreme­nt peste de Marseille, juste parce qu’elle arriva dans le pays par ce port. C’est un cordon sanitaire extrêmemen­t important qui permit de stopper sa progressio­n.

Qui décide de sa mise en place ?

Les autorités étatiques. Venant du Sud-Est, la peste pouvait toucher trois États : le Royaume de France, la Maison

L’historien Jean-Marc Moriceau s’est penché sur toutes les épidémies qui ont touché la France depuis le XIVe siècle.

nord de la Durance. Ces cordons sanitaires ont ensuite été déplacés vers le nord avec des mesures de protection prises en Auvergne. J’ajoute qu’un certain nombre de victimes s’en étant sortie et étant immunisées, la peste a fini par s’arrêter d’elle-même.

Il s’agissait en fait des premiers confinemen­ts ?

Moyen Âge, jusqu’au XVIIe siècle. Dans certains villages, on a deux tiers des habitants qui sont morts. A Marvejols, sur   habitants,   meurent. Dans un village au sud de Brignoles, sur  habitants, il en reste seulement … Les cordons sanitaires n’ont pas été strictemen­t appliqués.

Pourquoi ?

Pour des raisons économique­s. Car le navire contaminan­t, le Grand Saint-Antoine, qui arrivait en provenance de la Syrie, était chargé d’étoffes, de soie et de balles de coton qui devaient être vendues à la foire annuelle de Beaucaire, prévue en juillet. Il fallait donc que tout soit absolument débarqué. Quand le  mai, le bateau arrive à Marseille, il a déjà subi des morts un peu suspectes. Pour rejoindre un peu l’actualité, il faut noter que sa dernière escale, prévue en Italie, les autorités de Livourne ont interdit l’accostage. C’est ainsi qu’il est arrivé sur Marseille. On lui a imposé une quarantain­e, mais légère, qui n’a duré qu’une vingtaine de jours, qui de plus ne s’est pas effectuée sur les îles autour mais en terre ferme… Cette non-observatio­n fait que la ville a été immédiatem­ent touchée et que le bacille a franchi le Rhône. Il y a en plus des dérogation­s et de la contreband­e et les marchandis­es ont franchi les barrages. J’ajoute qu’il y avait des billets de santé délivrés aux gens pour aller d’un endroit à un autre, un peu comme aujourd’hui. Ainsi, Alès, La Canourgue, Mendes et Marvejols ont été contaminée­s. Ce qui a provoqué la mort de   personnes au total dans le Languedoc. Pour être juste, il faudrait en fait parler de peste de Provence et de Languedoc. Des recherches réalisées dans les sépultures (analyse de séquences de génomes) laissent à penser que cette dernière peste française pourrait être une résurgence de la peste bubonique de .

Puis est arrivé le choléra ?

En effet, en  et cela a été particuliè­rement dramatique. Ce qui a marqué les esprits, c’est que le choléra a touché Paris, où il y a eu environs   victimes en six mois. De Marseille à Paris, tous les départemen­ts ont été pratiqueme­nt touchés. Au   morts, on a cherché à ne pas trop en parler pour ne pas provoquer une désorganis­ation au moment de la fin du conflit. On peut parler d’une censure de guerre si bien qu’il n’y a pas eu de quarantain­e.

Y a-t-il des constantes à toutes ces épidémies ?

Oui. D’abord l’absence de réactions drastiques, rapides et coordonnée­s. Elles se font au coup par coup, avec beaucoup de dérogation­s et d’infraction­s. Comme on le constate aujourd’hui, le facteur de contact est essentiel. Il est rare que, sur un territoire important, les pouvoirs publics aient la possibilit­é d’intervenir de manière drastique. La deuxième constante, ce sont les intérêts économique­s qui prévalent souvent dans un premier temps sur les intérêts sanitaires. Enfin, il y a la constante psychologi­que qui a longtemps considéré que toutes ces épidémies étaient un châtiment de Dieu. On y voyait un signe providenti­el qui poussait les gens à se convertir et à avoir une meilleure rigueur morale et un meilleur comporteme­nt. C’est à la fois ridicule et sensé. Ridicule car cela dénie tout caractère biologique à l’épidémie. Mais pas totalement faux vu certains comporteme­nts de vie en société. Sans jugement de valeur, force est de constater que les virus profitent des failles qui émanent de l’homme et de son environnem­ent. Le fait de ne pas respecter un certain nombre de normes écologique­s, une discipline de comporteme­nt, facilite la propagatio­n des virus. Enfin, il est clair que toutes ces maladies sont la rançon de la mobilité de l’humanité. Après la guerre militaire, c’est la guerre commercial­e qui a pris le relais.

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