Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
« Ces maladies, la rançon de la mobilité de l’humanité »
L’historien spécialiste de la France paysanne du Moyen-Âge, revient sur les grandes épidémies qui ont frappé la France, en y soulignant des constantes
Dans l’histoire de France, l’épidémie la plus terrible mais aussi la plus récurrente est la peste ?
Oui. La plus importante est la peste noire, au XIVe siècle, qui a sévi de à . Cette peste bubonique, terrible, tue environ un tiers de la population française, soit environ millions de personnes. Ensuite, les pestes sont revenues au XVe siècle, à partir de et il n’y a pratiquement pas eu une année sans peste jusque vers . J’ai retrouvé les témoignages, rares, de personnes infectées mais qui s’en sont sorties. Cela s’est ensuite calmé, avant un retour de la peste vers avec des crises terribles jusqu’en et des centaines de milliers de morts. Tout semble terminé vers , au début du règne de Louis XIV.
Jusqu’à la grande peste de Marseille ?
Elle surprend tout le monde en effet et revient en . Elle perdure jusqu’au début , et va tuer environ personnes. On l’appelle improprement peste de Marseille, juste parce qu’elle arriva dans le pays par ce port. C’est un cordon sanitaire extrêmement important qui permit de stopper sa progression.
Qui décide de sa mise en place ?
Les autorités étatiques. Venant du Sud-Est, la peste pouvait toucher trois États : le Royaume de France, la Maison
L’historien Jean-Marc Moriceau s’est penché sur toutes les épidémies qui ont touché la France depuis le XIVe siècle.
nord de la Durance. Ces cordons sanitaires ont ensuite été déplacés vers le nord avec des mesures de protection prises en Auvergne. J’ajoute qu’un certain nombre de victimes s’en étant sortie et étant immunisées, la peste a fini par s’arrêter d’elle-même.
Il s’agissait en fait des premiers confinements ?
Moyen Âge, jusqu’au XVIIe siècle. Dans certains villages, on a deux tiers des habitants qui sont morts. A Marvejols, sur habitants, meurent. Dans un village au sud de Brignoles, sur habitants, il en reste seulement … Les cordons sanitaires n’ont pas été strictement appliqués.
Pourquoi ?
Pour des raisons économiques. Car le navire contaminant, le Grand Saint-Antoine, qui arrivait en provenance de la Syrie, était chargé d’étoffes, de soie et de balles de coton qui devaient être vendues à la foire annuelle de Beaucaire, prévue en juillet. Il fallait donc que tout soit absolument débarqué. Quand le mai, le bateau arrive à Marseille, il a déjà subi des morts un peu suspectes. Pour rejoindre un peu l’actualité, il faut noter que sa dernière escale, prévue en Italie, les autorités de Livourne ont interdit l’accostage. C’est ainsi qu’il est arrivé sur Marseille. On lui a imposé une quarantaine, mais légère, qui n’a duré qu’une vingtaine de jours, qui de plus ne s’est pas effectuée sur les îles autour mais en terre ferme… Cette non-observation fait que la ville a été immédiatement touchée et que le bacille a franchi le Rhône. Il y a en plus des dérogations et de la contrebande et les marchandises ont franchi les barrages. J’ajoute qu’il y avait des billets de santé délivrés aux gens pour aller d’un endroit à un autre, un peu comme aujourd’hui. Ainsi, Alès, La Canourgue, Mendes et Marvejols ont été contaminées. Ce qui a provoqué la mort de personnes au total dans le Languedoc. Pour être juste, il faudrait en fait parler de peste de Provence et de Languedoc. Des recherches réalisées dans les sépultures (analyse de séquences de génomes) laissent à penser que cette dernière peste française pourrait être une résurgence de la peste bubonique de .
Puis est arrivé le choléra ?
En effet, en et cela a été particulièrement dramatique. Ce qui a marqué les esprits, c’est que le choléra a touché Paris, où il y a eu environs victimes en six mois. De Marseille à Paris, tous les départements ont été pratiquement touchés. Au morts, on a cherché à ne pas trop en parler pour ne pas provoquer une désorganisation au moment de la fin du conflit. On peut parler d’une censure de guerre si bien qu’il n’y a pas eu de quarantaine.
Y a-t-il des constantes à toutes ces épidémies ?
Oui. D’abord l’absence de réactions drastiques, rapides et coordonnées. Elles se font au coup par coup, avec beaucoup de dérogations et d’infractions. Comme on le constate aujourd’hui, le facteur de contact est essentiel. Il est rare que, sur un territoire important, les pouvoirs publics aient la possibilité d’intervenir de manière drastique. La deuxième constante, ce sont les intérêts économiques qui prévalent souvent dans un premier temps sur les intérêts sanitaires. Enfin, il y a la constante psychologique qui a longtemps considéré que toutes ces épidémies étaient un châtiment de Dieu. On y voyait un signe providentiel qui poussait les gens à se convertir et à avoir une meilleure rigueur morale et un meilleur comportement. C’est à la fois ridicule et sensé. Ridicule car cela dénie tout caractère biologique à l’épidémie. Mais pas totalement faux vu certains comportements de vie en société. Sans jugement de valeur, force est de constater que les virus profitent des failles qui émanent de l’homme et de son environnement. Le fait de ne pas respecter un certain nombre de normes écologiques, une discipline de comportement, facilite la propagation des virus. Enfin, il est clair que toutes ces maladies sont la rançon de la mobilité de l’humanité. Après la guerre militaire, c’est la guerre commerciale qui a pris le relais.