Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Marie Bashkirtse­ff derrière sa fenêtre

Vivre à l’écart des autres : dans le passé, cela est arrivé à des gens célèbres dans notre région. À 12 ans, la surdouée a commencé à écrire chez elle, à Nice, son célèbre journal

- ANDRÉ PEYREGNE (1) Cité par Jean-Paul Potron dans « Marie Bashkirtse­ff » (Éditions Bibliothèq­ue de Cessole)

Marie avait 12 ans. Sa santé était fragile. Derrière sa fenêtre, dans la villa Acquaviva, au 55, de la promenade des Anglais, elle observait la vie qui se déroulait au dehors. Sa riche famille était venue d’Ukraine s’installer à Nice. Une institutri­ce, Mademoisel­le Collignon, venait lui donner des cours à domicile. Une salle d’études avait été aménagée dans la maison, ainsi qu’un atelier de peinture. La jeune fille était surdouée, parlant plusieurs langues, maniant habilement le pinceau. Tous les jours, elle racontait sur papier les événements de sa vie. Son journal était son monde à elle. Il allait devenir célèbre dans l’histoire de la littératur­e du XIXe siècle. Sur la promenade des Anglais, aujourd’hui, se trouve une plaque : « Ici se trouvait la villa où Marie Bashkirtch­eff commença son journal ». À l’époque, la promenade était une succession de villas entourées de jardins.

« On ne comprendra pas »

« Le soir, quand la lune luit, je vois ce chemin immense dans la mer qui semble être un poisson aux écailles de diamant, écrit Marie. Quand je suis à ma fenêtre je ne demande rien et me prosterne devant Dieu. Oh non, on ne comprendra pas ce que je veux dire. On ne comprendra pas si on ne l’a pas éprouvé… » À sa fenêtre, elle voit passer, à cheval, la belle silhouette du duc Hamilton. Ça y est, elle est amoureuse ! Elle note dans son journal : « J’apprécie seulement l’amour des hommes comme

Hamilton parce qu’ils savent et qu’ils ont beaucoup vu ! » Elle a 12 ans ! Le lendemain, catastroph­e, elle aperçoit une femme au bras du duc. Réaction dans son journal : « Dans dix ans elle sera vieille et moi je serai grande ! »

« Mon nom s’entendra à l’égal du tonnerre »

Il ne faut pas croire que Marie restait cloîtrée chez elle. Elle allait sur la promenade, vêtue de robes blanches, se hasardait dans les rues de la vieille ville, se rendait à l’hippodrome (à l’emplacemen­t actuel de l’aéroport). Mais son vrai univers est dans ses écrits : «Je suis venue à mon journal, le priant de soulager mon coeur vide, triste, manqué, envieux, malheureux. » Elle souhaite que son art – l’écriture, la peinture – puisse rayonner au-delà de sa chambre et de son époque. À 16 ans, elle ambitionne un destin d’écrivain : « Un jour viendra où, par toute la terre, mon nom s’entendra à l’égal du tonnerre », ose-t-elle écrire. Elle veut exister au-delà de la mort. Car elle se sent déjà malade. Elle mourra de tuberculos­e à 25 ans, à Paris, en 1884. Depuis deux ans, elle avait quitté Nice, ayant peint un impression­nant autoportra­it que l’on peut voir au Musée Chéret de Nice. Quelque part dans son journal, Marie écrit : « L’incertitud­e est plus terrible que l’événement luimême. » Elle aurait pu écrire cela aujourd’hui.

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(DR) Autoportra­it (Musée Chéret).

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