Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Boris Cyrulnik : « Il est important de se parler »

De la gestion de l’isolement à ce qui pourrait en ressortir une fois le Covid-19 vaincu, le neuropsych­iatre revient sur la façon dont les humains font face

- Recueilli par VIRGINIE RABISSE vrabisse@varmatin.com

Il en est convaincu : « La crise que nous traversons va conduire à une révolution culturelle. »

confinemen­t peut rester supportabl­e… Avant de ne plus l’être ?

Les seuils sont très différents selon le développem­ent antérieur au confinemen­t. Sionaeuun bon quand on est confiné en famille : il est important de se parler beaucoup (sans trop se toucher pour ne pas prendre le risque de se contaminer), de se raconter des histoires.

À titre individuel, que peut-on retirer de cette période ?

Le confinemen­t est source d’ennui. Or, l’ennui est un excellent stimulant de la créativité. On va devenir créatifs ! C’est très fréquent dans la condition humaine… Les virus, les bactéries ont joué un rôle énorme dans la culture. Par exemple, la syphilis a fait d’énormes ravages dans tout le romantisme occidental, la tuberculos­e a foutu en l’air des familles entières. Mais, on constate que dans les sanatorium­s, les tuberculeu­x étaient enfermés, avec la mort, mais aussi la créativité. Notre voisin de nuit mourait et, en même temps, on faisait des bals, des pièces de théâtre… Beaucoup d’écrivains et de philosophe­s se sont aussi épanouis dans ces sanatorium­s où on mourait tous les jours !

Et à titre collectif ? Pensez-vous que nous puissions en sortir grandi ou au contraire que nos pires travers sont susceptibl­es de se tailler la part du lion ?

La nature humaine est faite de merveille et d’horreur. Quand le virus sera mort, parce que les virus finissent toujours par mourir, on aura beaucoup de morts, de dépression­s, beaucoup de ruines de petites entreprise­s. Ce qui va nous amener à nous interroger sur notre culture d’avant le virus : une culture de la rentabilit­é individuel­le, où on a oublié l’importance de la famille, de l’attachemen­t au nom de la réussite personnell­e. Or, après chaque catastroph­e, on constate une recomposit­ion des valeurs morales. Par exemple, après l’épidémie de peste du XIVe siècle, le servage a disparu. Avant, il y en avait tant que les paysans étaient serfs. Deux ans après, pour faire redémarrer le pays, il a fallu les payer : la hiérarchie des valeurs morales n’était plus la même, un homme n’était plus une annexe de cheval ou de boeuf, mais un être humain qui se faisait payer pour son travail… Ça, c’est la merveille, la révolution culturelle que je prévois pour .

Et l’horreur ?

L’horreur, toujours dans l’exemple de la peste, lorsqu’elle est arrivée à Marseille en , il y a eu très vite énormément de morts et les gens ont fui vers Aix-en-Provence et Manosque, emportant avec eux la maladie. Si bien que quelques jours après, Aix et Manosque comptaient aussi beaucoup de morts. Là, les survivants ont encore fui, montant vers Avignon ou Valence. Et ainsi de suite… Deux ans plus tard, un Européen sur deux était mort. En fait, ces genslà ont réagi comme (la semaine dernière) quand les Parisiens ont pris le train pour venir en province, transporta­nt le virus avec eux. Mais l’horreur, c’est aussi ce qui peut arriver ensuite. En guerre, lorsque l’ennemi est visible, on se regroupe, on peut le combattre, l’affronter. Mais lorsqu’il est invisible, c’est la rumeur qui prend place et on tombe vite dans la recherche de boucs émissaires. Chacun trouve le sien. Néanmoins, je fais le pari que cette crise nous permettra de tirer le meilleur de nous-même.

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