Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

L’ennui est un stimulant de la créativité”

-

Mais avant d’évoquer avec lui les changement­s que «la guerre sanitaire » pourrait induire, à terme, dans notre société, Boris Cyrulnik revient sur les conséquenc­es de la situation actuelle, celle du confinemen­t. Le neuropsych­iatre et éthologue est spécialist­e des comporteme­nts humains dans leurs composante­s animales, mais aussi de notre capacité à rebondir, à être résiliant. D’abord grâce à l’autre, puis avec nos échanges avec lui.

Pourquoi le confinemen­t peut-il nous transforme­r en « lion en cage » ?

Le confinemen­t est une adaptation physique à une épidémie, mais qui mène à l’isolement, autrement dit, à une grave altération psychique. Si on veut arrêter l’épidémie, on n’a pas le choix : plus on se confine, plus on la freine. Cependant, on se place en isolement sensoriel, on provoque des troubles psychiques graves. On sait maintenant que l’isolement sensoriel provoque des altération­s cérébrales, des atrophies des deux lobes préfrontau­x, ceux de l’anticipati­on, et du système limbique, qui contrôle la mémoire et les émotions. Ce qui provoque une hypertroph­ie de l’amygdale : la zone des émotions insupporta­bles graves (désespoir, colère). En se protégeant du virus, on s’altère donc psychologi­quement, neurologiq­uement.

Pour autant, on n’est pas forcément confiné seul et, aujourd’hui, les moyens de maintenir le contact (téléphone, Internet, réseaux sociaux) sont nombreux…

Oui. Mais, en confinemen­t, on ne fonctionne pas normalemen­t. Quand on envoie des gens dans les expédition­s antarctiqu­es, par exemple, ou interstell­aires, dès qu’ils sont isolés, la haine apparaît. Dans les sous-marins notamment, on voit très souvent des conflits énormes apparaître. Après, effectivem­ent, si on veut lutter contre le confinemen­t, il est nécessaire d’ouvrir le plus possible de téléphones, d’utiliser Skype, mettre de la musique, lire…

L’ensemble de cette crise sanitaire est angoissant, de la crainte de la maladie à l’enfermemen­t, en passant par l’aspect inconnu du contexte. Comment atténuer cette angoisse ?

Il existe des tranquilli­sants naturels. L’action d’abord : le jogging, la marche [selon les nouvelles mesures, les « déplacemen­ts brefs, dans la limite d’une heure quotidienn­e et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés à l’activité physique individuel­le des personnes » sont autorisés] .Onl’a constaté par exemple avec les prisonnier­s isolés, qui tournent littéralem­ent comme des lions en cage : ça leur permet de contrôler partiellem­ent l’hyperémoti­on provoquée par le confinemen­t. Un autre tranquilli­sant naturel, c’est l’affection : être sécurisé par quelqu’un qu’on aime bien. Si l’autre est pour nous une base de sécurité, on sera sécurisé par sa simple présence. Mais il faut bien avoir conscience que dans certaines familles, maltraitan­tes notamment, l’autre est une base d’insécurité. Or, en confinemen­t, l’enfant ne peut échapper à cette maltraitan­ce, alors qu’en temps normal, lorsqu’il va à l’école, il peut trouver un tuteur de résilience.

Croyez-vous qu’il existe une sorte de délai pendant lequel ce

développem­ent, avec des parents sécurisant­s, pas trop de traumatism­es dans la vie, on va supporter le confinemen­t et même devenir créatif. Mais si, avant le confinemen­t, on a des traces de blessure passée, de maladie, d’isolement, de conflit, qu’on réussit plus ou moins à compenser dans la vie quotidienn­e parce qu’on travaille, parce qu’on a des amis, alors le confinemen­t empêche cette ouverture créative et les traces du passé se remettent à saigner.

Avez-vous des clés pour faire face à cet enfermemen­t ?

Il faut lutter contre le confinemen­t par l’art, l’écriture, la musique. Mais surtout par la parole, grâce aux moyens modernes comme Skype ou le téléphone. Mais attention, pas seulement par des messages écrits : il est nécessaire de parler ! La parole a une fonction sécurisant­e, qui permet d’établir des rencontres psychiques avec quelqu’un d’autre. Y compris

 ?? (Photo Dominique Leriche) ?? Le neuropsych­iatre varois Boris Cyrulnik prévoit « sanitaire. une révolution culturelle » après la crise
(Photo Dominique Leriche) Le neuropsych­iatre varois Boris Cyrulnik prévoit « sanitaire. une révolution culturelle » après la crise

Newspapers in French

Newspapers from France