Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Nicolas Mathieu : «Onnousa beaucoup menti sur les masques »
L’écrivain, prix Goncourt 2018 pour « Leurs enfants après eux », a retrouvé le chemin de l’écriture pendant le confinement : un roman en cours et des posts Instagram, amers et lucides
‘‘ On nous a beaucoup menti.”
Son rire d’ado un peu gauche surprend au téléphone. On s’imaginait un écrivain sombre, ruminant sur le monde d’avant autant que sur celui d’après. On le pensait incapable à la moindre entorse à un blues viscéral. Raté. Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux, parle avec chaleur de ses espoirs, de ses angoisses. Et de ses démons qu’il n’a pas encore terrassés... Pendant le confinement, il a écrit. Beaucoup. Notamment des chroniques sur Instagram aussi coriaces que lumineuses. Amères, mais lucides. Il a vilipendé une épidémie « sans savoir vivre », détesté ce virus « qui nous a rendu nos fragilités de gamins ». Pesté contre une société qui n’apprend jamais aussi vite qu’il le voudrait. « Des historiens se pencheront un jour sur notre psychopathie de fin de siècle. Ils diront ces gens n’auraient pas sacrifié une minute de joie pour sauver leur monde. »
Comment avez-vous vécu le confinement...
Par attaque... À dire vrai, en tant qu’auteur, cela n’a pas changé grand-chose à mon quotidien, je vis un peu une vie confinée à l’origine. Il m’arrive de rester une semaine sans beaucoup sortir de chez moi. J’ai expérimenté pendant cette période des sentiments et ils ont beaucoup varié.
Au départ ?
L’ampleur de la catastrophe m’a donné le sentiment que beaucoup de choses allaient changer, être bouleversées. Je pensais qu’il y allait avoir une prise de conscience très forte sur les impasses économiques et écologiques. Sur le fonctionnement de notre société. Sur la façon de faire de la politique. Voilà, je me suis dit : c’est tellement fou que tout va changer ! J’avais une grande angoisse mêlée d’espérance...
Et puis ?
Et puis : à quoi bon ? Je me suis rendu compte que cet avertissement, ce coup de semonce ne produisait pas de changement chez les gens, chez les élites. Les gens qui allaient bien ont continué d’aller bien : à faire du pain, des gâteaux, du yoga. Il n’y a pas eu le sentiment de l’histoire qui est en train de se faire.
Cela vous désespère ?
Non, il se produira des choses de gré ou de force. Je suis plutôt triste en fait. Ça m’a attristé qu’il n’y ait pas de sursaut dans la manière dont on réagit au monde. Cela aurait impliqué une prise de conscience douloureuse, c’est vrai. Et nous sommes enfoncés si loin dans notre désir d’être heureux, de vivre bien, de réussir que nous n’y arrivons pas : la plupart des gens n’y sont pas accessibles.
Nous sommes conditionnés pour nous soucier de notre bien-être. On est absent au monde tel qu’il est.
Vous êtes en colère ?
Oh putain oui ! Et je n’en sors pas. En même temps, c’est un peu mon mode de fonctionnement. Tout m’a mis en colère ! Le fonctionnement des hôpitaux par exemple. Chez moi dans la région Grand-Est, [Nicolas Mathieu habite à Nancy, ndlr], la direction de l’ARS a maintenu son plan de restructuration de l’hôpital en pleine crise. Alors oui, je suis en colère face à l’idéologie gestionnaire qui est à l’oeuvre partout. Et je dis bien idéologie parce que ce n’est pas du pragmatisme.
La politique pendant cette période ?
Insupportable. Les palinodies autour des masques. Une doctrine par jour... Ce n’était pas à la hauteur. On nous a beaucoup menti et ce n’est pas comme ça partout. La maturité démocratique allemande, par exemple, est nettement supérieure à la nôtre.
Un jour, vous avez dit qu’il y avait plus de politique dans un dîner entre amis que dans une campagne électorale...
Dès qu’on articule du « un » avec du plusieurs, c’est de la politique. La politique, ou plutôt le politique, c’est comment on s’organise pour vivre à plusieurs. Il y a du politique partout, dans un couple, dans un lit. Dans les repas de famille, les échanges, les regards, les silences, c’est du politique. Écrire c’est politique ! L’homme est politique. En fait, cela veut dire qu’il ne peut pas vivre seul. Il ne faut pas laisser le politique aux professionnels.
Vous êtes arrivé à trouver quelque chose de positif à cette période ?
Le temps que j’ai pu passer avec mon fils de ans. Je me suis séparé très tôt de sa maman, il ne vit pas toujours avec moi. On a passé trois semaines entièrement ensemble.
Et vous avez beaucoup écrit...
Cela faisait deux ans que je n’avais pas écrit [rires]. Je faisais le service après-vente de mon livre. Et je ne m’y remettais pas. Je ne sais pas si c’était à cause de la peur d’écrire de nouveau ou la nécessité d’accompagner Leurs enfants après eux. Toujours est-il que je n’avais pas écrit, mais plutôt pris du poids et bu des coups [rires]. Là, j’ai écrit quotidiennement. C’est arrivé naturellement.
C’est douloureux d’écrire pour vous ?
Chez moi, écrire est une discipline. Le premier jet est assez pénible, le plaisir est dans la réécriture. Mais le premier jet apporte aussi ses jouissances, c’est là où les choses se déplient. Écrire un roman, pour moi, c’est comme conduire sur une route départementale sans phares. On ne voit pas loin mais on arrive quand même chez soi, parce que l’on connaît la route. C’est une période assez angoissante. Je sais que certains écrivains planifient tout. Ce n’est pas mon cas. Je me lance et puis après, j’affine, je choisis les mots, je cherche les déséquilibres.
Un nouveau roman en cours ?
Oui, j’en suis à signes. Un quart du roman. Le premier jet, et puis après il faudra tout refaire. Il sera encore beaucoup question du travail, mais moins des usines que des open space. Et de l’amour aussi... Et j’ai beaucoup écrit sur Instagram.
Une forme de thérapie sur la situation...
Non, écrire n’est pas une thérapie. Écrire permet de domestiquer le chaos, rendre le monde praticable. J’ai besoin des mots. Par l’écriture, on élucide.
Vous avez beaucoup lu ?
Beaucoup de presse au début pour essayer de comprendre, j’étais tétanisé. Et des livres de saison, comme La Constellation du chien de Peter Heller, une pastorale postapocalyptique ou encore La Route de Cormac McCarthy. Les relations entre un père et son fils : tout ça c’est compliqué pour moi, je n’avais jamais pu terminer ce livre avant. Et puis, je suis très réseaux sociaux, un peu addict même. Mais pas à Twitter, ce sont les latrines du Web, un coupegorge ! La fonction de base de Twitter, c’est la chasse à courre.
‘‘ Par l’écriture on élucide.”