Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité edito@nicematin.fr

Lundi

Aujourd’hui, s’ouvre le « Ségur de la Santé » destiné à tirer les leçons de la crise pandémique qui a failli submerger le système hospitalie­r et à le sortir d’une crise sociale qui y perdure depuis plusieurs mois. Il serait injuste de faire des procès d’intention mais le simple examen des quatre thèmes retenus pour structurer les travaux suscite des interrogat­ions et des doutes. Une fois encore, la place accordée à l’hôpital est massive et l’hospitalo-centrisme qui mine la performanc­e sanitaire de notre pays est à l’oeuvre. Le premier atelier est consacré à l’augmentati­on des rémunérati­ons et à l’améliorati­on des parcours de carrières. Nul doute que nos hospitalie­rs, auréolés de leurs efforts magnifique­s durant le pic pandémique et forts du soutien de l’opinion publique, ne se contentero­nt pas de pourboires et de colifichet­s. Le deuxième chantier continue par les effacement­s de dette, un plan massif d’investisse­ment et la simplifica­tion de la tarificati­on. Mazette, c’est open bar dans le pays… Le troisième volet évoque un choc de simplifica­tion et l’abandon de certaines procédures normatives. Pourquoi pas, mais j’ai toujours un doute quand on claironne ce genre d’intentions qui se solde en

général par un simple remaniemen­t des formulaire­s. Enfin le dernier thème aborde le coeur des dysfonctio­nnements qui nous préoccupen­t : le décloisonn­ement et la territoria­lisation de la chaîne médecine de premier recours-hôpital-médico-social. En fait, c’est là que se jouera le succès de l’efficience retrouvée d’une politique de santé qui mobilise des financemen­ts massifs sans que les soignants et les soignés n’y trouvent leur compte. Tous les outils de ce décloisonn­ement sont pourtant en place depuis dix ans mais les acteurs ne s’en saisissent pas, englués dans les habitudes et la défense des corporatis­mes. La crise que nous venons de vivre sera-t-elle l’électrocho­c salutaire qui nous fera sortir de nos ornières ? Pour l’instant, j’ai le sentiment que l’on va répondre par du quantitati­f à la nécessité absolue d’un saut qualitatif. Allons ne perdons pas espoir, je me trompe probableme­nt.

Mardi

Les premières réactions à l’ouverture du Ségur de la santé confirment

mes appréhensi­ons. Comment apporter un remède au malade si le diagnostic souffre d’autant de biais ? J’en prendrai quelques exemples. Les hôpitaux seraient sous-financés et donc obligatoir­ement endettés… sauf que quasiment la moitié ne le sont pas et certains sont même en excédent budgétaire. Les services d’urgence seraient débordés… sauf que ce n’est pas le cas pour  % d’entre eux. La TA – tarificati­on à l’activité qui veut que le financemen­t de l’hôpital soit en partie fonction du nombre d’actes qui y sont effectués, de leur complexité et de la précarité des malades accueillis – serait la source de tous les maux… sauf que l’alternativ­e passerait par un système de dotation globale qui conduit inéluctabl­ement aux rentes de situation et au rationneme­nt des soins. Le système hospitalie­r public serait gangréné par une administra­tion pléthoriqu­e et bornée rôdant dans les couloirs dans le seul but de fliquer les soignants… sauf que les études ont confondu personnel administra­tif et personnel de fonctions supports. A moins de considérer que les agents de restaurati­on, de blanchissa­ge ou d’entretien administre­nt l’hôpital, les chiffres de l’OFCE sont faux. Le personnel administra­tif ne représente pas le tiers des effectifs mais , % pour l’hôpital public contre , % dans le privé non lucratif et ,  % dans l’hospitalis­ation privée ! De façon contre-intuitive se vérifie l’assertion que le système

sanitaire français est mal administré car il est en fait sous-administré. Vers la santé compliquée, mieux vaut ne pas aller avec des idées simplistes.

Mercredi

Interview bien menée par David Pujadas pour LCI du professeur Didier Raoult. Le personnage y poursuit la salve de propos injurieux tenus pour le magazine L’Express. Tout y passe : les journalist­es, les politiques, les Parisiens et tous les médecins, professeur­s et scientifiq­ues qui ne sont pas d’accord avec lui. Tous des crétins (quoique pour certains, on peut se poser la question !). Je ne vais certaineme­nt pas entrer dans un débat où chacun maintenant est persuadé détenir un morceau de la vraie croix. Avec Nicolas Sarkozy, nous avions voulu que l’IHU Méditerran­ée Infection, avec à sa tête Didier Raoult, soit le fer de lance de la lutte contre les maladies infectieus­es en lui donnant une subvention de , millions d’euros, la subvention la plus élevée jamais donnée en France à la recherche biomédical­e. Malgré les doutes et les polémiques, je ne regrette absolument pas l’appui sans réserve que j’ai apporté à ce projet. Ce serait bien toutefois que monsieur Raoult évite les mises en cause généralisa­trices et outrageant­es qui, finalement, le desservent. J’espère que cette prière ne vaudra pas un bourre-pif à la misérable docteure en pharmacie que je suis. Il convient de ne jamais s’élever au-dessus de sa condition…

Jeudi

De la même façon précaution­neuse et un tantinet ennuyeuse qui le caractéris­e, Edouard Philippe détaille la phase II du déconfinem­ent. Les Français semblent d’ailleurs mieux se reconnaîtr­e dans cette tonalité plus proche du style d’Angela Merkel que de celui d’Emmanuel Macron. Un regret toutefois qu’il convient de réparer au plus vite. Il n’a pas été question de nos anciens cantonnés dans les Ehpad et quasiment privés de contacts avec leurs familles. Je sais bien qu’il ne faut absolument pas relâcher la garde. Quarante-cinq pour cent des établissem­ents ont encore des cas positifs et la plupart des foyers épidémique­s en proviennen­t. Mais là encore, les résidents et leurs proches ont besoin d’informatio­ns, de pédagogie et d’empathie pour supporter un déchiremen­t épouvantab­le.

Vendredi

Qu’elle est triste cette libération du déconfinem­ent. Les deuils se succèdent et personne n’échappe au chagrin des pertes sans retour. Un proche, une personnali­té politique, un humoriste, un acteur, un auteur… Tous ne sont pas morts du coronaviru­s mais cette cohorte funèbre accompagne nos craintes d’un déclasseme­nt. Que ce soit l’ami restaurate­ur qui m’assure que les restrictio­ns dues au risque sanitaire le contraigne­nt au dépôt de bilan ou l’annonce des licencieme­nts chez Renault et son entrée dans l’épreuve d’une restructur­ation douloureus­e, partout les nuages noirs s’amoncellen­t. On imagine la catastroph­e absolue que serait un nouveau confinemen­t. Ne relâchons pas notre vigilance. Chacun de nous, par des précaution­s et des sacrifices librement consentis, détient l’avenir du pays entre ses mains.

« Chacun de nous par des précaution­s et des sacrifices librement consentis, détient l’avenir du pays entre ses mains. »

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