Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Soignants : un deuxième
Jardinier, femme de ménage, caissier… parce que leur salaire à l’hôpital ne leur permet pas de vivre décemment, des infirmiers, aides-soignants, agents de service hospitaliers cumulent deux emplois
Le sujet est tabou. C’est pourtant un secret de polichinelle. Infirmiers, aides-soignants, agents de service hospitaliers (ASH)… Ils seraient des dizaines de milliers à cumuler emploi à l’hôpital et travail – le plus souvent au noir, leur statut d’agents publics leur interdisant le cumul. Un double emploi motivé par une seule nécessité : vivre. Vivre, c’est-à-dire nourrir leurs enfants, payer un logement, les factures d’électricité, de gaz, les assurances, les transports… Des dépenses essentielles auxquelles leurs maigres salaires ne leur permettent même pas de faire face. Rappelons qu’au sein de l’OCDE, la France se classe 28e sur 32 en matière de salaires des infirmiers hospitaliers ; leur rémunération est inférieure de 6 % au salaire moyen des Français. La situation est encore moins reluisante concernant les aides-soignants. Alors, après des journées, des nuits épuisantes à l’hôpital, beaucoup se rendent sur les lieux de leur second emploi, celui qui va leur permettre d’honorer leurs factures, combler leurs découverts structurels… ou, au mieux, leur permettre d’offrir de petits « plus » à leurs enfants.
Abnégation et dévouement
Si ces situations sont bien connues au sein de ces professions, qu’ils sont souvent plusieurs au sein d’un même service à partager leurs temps entre deux emplois, jusqu’à travailler 50, 60 voire 70 heures par semaine, obtenir des témoignages n’a pas été simple, même sous couvert d’anonymat. La plupart sont « hors la loi », et la peur est immense d’être identifiés par une hiérarchie dont ils craignent qu’elle soit sans complaisance. Pour ces travailleurs pauvres auxquels la crise des « Gilets jaunes » a donné la parole, la menace d’une perte d’emploi fait peur. Longtemps, très longtemps, trop longtemps probablement, ces soignants hospitaliers sont restés silencieux. Comme si les deux qualités que chacun leur reconnaît : abnégation et dévouement, leur intimaient l’ordre de se taire. Et en dépit de leur mécontentement légitime face à des conditions de travail à l’hôpital de plus en plus dégradées, ils se sont peu mobilisés. Mais depuis quelques années, la colère gronde. Moins nombreux dans les services – les hôpitaux peinent à recruter alors que les salaires sont si peu attractifs –, « victimes » de la réduction des lits associée au virage ambulatoire, dépossédés de ce qui constitue souvent leur principale motivation : le temps donné au patient, ils sont à bout de nerfs, et leur voix s’élève pour réclamer des salaires décents, à la hauteur de leurs missions. Et une simple reconnaissance. Il est urgent que leur voix soit entendue : ces centaines de milliers de personnels hospitaliers portent à bout de bras notre système de santé.