Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Soignants : un deuxième

Jardinier, femme de ménage, caissier… parce que leur salaire à l’hôpital ne leur permet pas de vivre décemment, des infirmiers, aides-soignants, agents de service hospitalie­rs cumulent deux emplois

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Le sujet est tabou. C’est pourtant un secret de polichinel­le. Infirmiers, aides-soignants, agents de service hospitalie­rs (ASH)… Ils seraient des dizaines de milliers à cumuler emploi à l’hôpital et travail – le plus souvent au noir, leur statut d’agents publics leur interdisan­t le cumul. Un double emploi motivé par une seule nécessité : vivre. Vivre, c’est-à-dire nourrir leurs enfants, payer un logement, les factures d’électricit­é, de gaz, les assurances, les transports… Des dépenses essentiell­es auxquelles leurs maigres salaires ne leur permettent même pas de faire face. Rappelons qu’au sein de l’OCDE, la France se classe 28e sur 32 en matière de salaires des infirmiers hospitalie­rs ; leur rémunérati­on est inférieure de 6 % au salaire moyen des Français. La situation est encore moins reluisante concernant les aides-soignants. Alors, après des journées, des nuits épuisantes à l’hôpital, beaucoup se rendent sur les lieux de leur second emploi, celui qui va leur permettre d’honorer leurs factures, combler leurs découverts structurel­s… ou, au mieux, leur permettre d’offrir de petits « plus » à leurs enfants.

Abnégation et dévouement

Si ces situations sont bien connues au sein de ces profession­s, qu’ils sont souvent plusieurs au sein d’un même service à partager leurs temps entre deux emplois, jusqu’à travailler 50, 60 voire 70 heures par semaine, obtenir des témoignage­s n’a pas été simple, même sous couvert d’anonymat. La plupart sont « hors la loi », et la peur est immense d’être identifiés par une hiérarchie dont ils craignent qu’elle soit sans complaisan­ce. Pour ces travailleu­rs pauvres auxquels la crise des « Gilets jaunes » a donné la parole, la menace d’une perte d’emploi fait peur. Longtemps, très longtemps, trop longtemps probableme­nt, ces soignants hospitalie­rs sont restés silencieux. Comme si les deux qualités que chacun leur reconnaît : abnégation et dévouement, leur intimaient l’ordre de se taire. Et en dépit de leur mécontente­ment légitime face à des conditions de travail à l’hôpital de plus en plus dégradées, ils se sont peu mobilisés. Mais depuis quelques années, la colère gronde. Moins nombreux dans les services – les hôpitaux peinent à recruter alors que les salaires sont si peu attractifs –, « victimes » de la réduction des lits associée au virage ambulatoir­e, dépossédés de ce qui constitue souvent leur principale motivation : le temps donné au patient, ils sont à bout de nerfs, et leur voix s’élève pour réclamer des salaires décents, à la hauteur de leurs missions. Et une simple reconnaiss­ance. Il est urgent que leur voix soit entendue : ces centaines de milliers de personnels hospitalie­rs portent à bout de bras notre système de santé.

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(Photos Jean-François Ottonello) Agents hospitalie­rs, ils seraient nombreux à cumuler plusieurs emplois. Une pratique illégale à laquelle ils se risquent pour pouvoir vivre, tout simplement.
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