Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Dupond : au tribunal de Nice la hache de guerre enterrée
Entre colère et fatalisme, les magistrats du tribunal judiciaire de refusent tout procès d’intention au garde des Sceaux. Avec l’espoir que Dupond-Moretti ait les moyens de ses ambitions
Eric Dupond-Moretti nommé lundi soir garde des Sceaux. Dans leurs pires cauchemars, certains magistrats ne l’auraient imaginé. La représentante nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM) a aussitôt parlé de « déclaration de guerre », tant le pénaliste est détesté par la corporation. Certains envisageaient d’entrer en résistance en présentant des démissions collectives. D’autres s’interrogent sur les intentions du président de la République, sur l’avenir du parquet national financier qui a placé l’avocat sur écoutes au mépris de son secret professionnel. Mardi matin, au tribunal judiciaire de Nice, la nomination surprise du pénaliste est au coeur des conversations. Magistrats et greffiers expriment leurs doutes, leurs inquiétudes ou leur indifférence toujours sous couvert d’anonymat. « Je ne l’imagine pas durer vu sa grande gueule », prédit un juge «J’aicruàungag», confie un autre magistrat au détour d’un couloir « Sidérant. C’est le choix du populisme », soupire l’une de ses jeunes collègues. « Et après son passage à la Chancellerie, il va retourner à son cabinet comme si de rien n’était. Il y a quand même un conflit d’intérêts non ? »
Un ministère déclassé
Alors que le nom de François Molins bruissait dans les prétoires ces derniers jours pour diriger le ministère (hypothèse très consensuelle), l’annonce lundi à 19 h du plus célèbre des avocats à la Chancellerie a pris des allures de séisme. Un magistrat honoraire trouve « le personnage grossier, mal élevé » .Ilnoteque le ministère régalien de la justice est relégué au 10e rang protocolaire, « derrière le ministre des pistes cyclables et des toilettes sèches ! C’est dire le mépris de nos politiques pour la justice. Il fut une époque où le ministère était au troisième rang. » Une fois l’effet de surprise passé, après une nuit de réflexion, les représentants syndicaux niçois se montrent beaucoup plus modérés. Hichem Melhem (délégué FO) prend le contrepied de beaucoup de ses collègues : « Il veut réformer l’Ordonnance de 58 notamment l’article 5 qui place les magistrats du parquet sous l’autorité du garde des Sceaux. S’il y parvient, ce sera une grande avancée pour l’indépendance de notre justice. Nous serons enfin conformes à la réglementation européenne. » Les passerelles existent actuellement entre le parquet (les magistrats qui représentent la société et appliquent la politique pénale) et le siège (les magistrats qui jugent). Cette porosité, cette proximité entre siège et parquet, sont depuis longtemps critiqués par les avocats.
« Des actes, des actes, des actes »
Hichem Melhem n’a pas de mots assez durs pour qualifier l’ère Belloubet «quia duré trois ans et quinze jours. Voyez, je compte les jours ! : Eric Dupond-Moretti nous méprise ? Mais le mépris, on l’a vécu avec des réformes où l’on ne nous a jamais écoutés. Nous, comme les avocats. Elle arrivait du Conseil constitutionnel, nous avions un a priori positif et nous avons été déçus. » Dupond-Moretti sera-t-il une bonne surprise ? Le bâtonnier Thierry Troin est satisfait qu’un avocat, professionnel du droit, soit nommé même s’il doute de la volonté de son confrère de défendre le régime de retraite de leur profession. Julien Ficara, délégué USM, magistrat réputé pour sa modération, n’intente pas de procès d’intention : « C’est sans conteste un coup médiatique mais pas question d’hystériser le débat. J’attends des actes, des actes, des actes. » Juge d’application des peines, Julien Ficara prône lui aussi une justice indépendante : « Il faut un réformateur parce que je crois à la nécessité de séparer la justice du politique. S’il arrive avec des idées mais surtout des moyens, alors tant mieux. Il y avait 7 800 magistrats en 1890, 8 500 aujourd’hui. »