Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Pourquoi publier ce livre seulement maintenant ? Il fallait que je m’en donne l’autorisati­on”

-

Il a fallu une décennie à Caroline Dorka-Fenech pour donner naissance à son premier roman, Rosa dolorosa, en librairie depuis ce jeudi 27 août, dans une rentrée littéraire plus resserrée que d’habitude. Dix années durant lesquelles elle a peaufiné et réécrit l’histoire de Rosa, quarante-deux ans et propriétai­re du restaurant Le Petit Soleil dans le Vieux-Nice, et de son fils, Lino, vingt-trois ans, qui rêve d’ouvrir un hôtel et d’y installer un aquarium géant avec des méduses dans le hall de réception. Un rêve qui est en train de devenir réalité... au moment où Lino est accusé du meurtre d’un jeune enfant. Rosa, seule contre tous, va n’avoir plus qu’un seul objectif : faire sortir Lino de prison et prouver son innocence dont elle ne doute aucunement. Jusqu’où peut-on aller pour son fils ? Et surtout, l’aimer de tout son être, de toute son âme est-il suffisant pour le connaître ? Caroline Dorka-Fenech a accepté de répondre à ces questions. Si vous en avez d’autres, elle sera au Festival du livre de Nice, du 18 au 20 septembre prochains.

Comment est né ce livre ?

J’écris depuis l’enfance. J’ai fait des études de Lettres et de cinéma, ce sont mes deux grandes passions. J’ai longtemps travaillé dans le cinéma, je suis prof de français. Pour ce roman-là, l’écriture a été un long cheminemen­t. J’en ai ressenti le besoin il y a longtemps, le jour où j’ai appris que plusieurs de mes proches avaient été agressés sexuelleme­nt dans leur enfance. Lorsque cette histoire est sortie, la mère de l’agresseur a eu une réaction qui m’a bouleversé­e. Elle a dit : “De toute façon, mon fils n’ira pas en prison. Je préfère le tuer et me tuer ensuite.” Cette parole-là a créé un grand bouleverse­ment, une explosion dans mon cerveau. Je suis passée par plusieurs étapes. Par la révolte, je ne comprenais pas qu’une mère défende un criminel. En même temps, l’amour qu’elle exprimait pour son fils me fascinait. Peut-être parce que j’ai beaucoup douté de l’amour de ma mère dans mon enfance... De cette tension qu’a créée cette réaction est né le livre. Je me suis emparée de ce personnage de mère, en m’écartant complèteme­nt du fait divers. Il ne s’agit pas du tout d’un récit naturalist­e. Ça n’a jamais été mon intention de faire une autofictio­n, même si le livre est nourri de mon parcours personnel, de ma mère, qui a eu un restaurant, qui a eu la même maladie que Rosa... Ce que je voulais, c’était explorer la dimension mythologiq­ue de ce personnage.

Ce livre a nécessité dix ans de travail...

Ça a été une longue maturation. L’histoire est assez sombre, il fallait que je la digère. Quand j’ai commencé à écrire, j’avais un point de vue de fille visà-vis de sa mère, et puis au fil de l’écriture, moi-même je suis devenue maman et ça m’a permis d’avoir un autre regard sur mon personnage. Je suis entrée dans un état d’obsession. Celle d’une mère pour son fils et son innocence. Pourquoi publier ce livre seulement maintenant ? Il fallait que je m’en donne l’autorisati­on.

L’écriture en elle-même a été longue, elle aussi ?

Elle a connu plusieurs étapes. Un premier jet sur une année et ensuite un long travail de réécriture incessant. Pas à plein temps parce que j’avais d’autres activités et parce que l’histoire m’atteignait aussi vraiment beaucoup. Me plonger dans cette histoire, c’est à chaque fois quelque chose pour moi. Donc oui, même l’écriture a été longue pour arriver à une sorte d’épure que je recherchai­s.

Vous pensez qu’il n’y a pas de limites à l’amour maternel ?

Je n’ai pas ce genre de conviction, et je n’ai pas voulu donner de leçons ou de messages dans mon livre. Il se trouve que le personnage a décidé de luimême de la fin du livre. J’ai lutté longtemps, j’ai cherché une autre fin... C’était très bouleversa­nt pour moi de l’écrire. Des amours comme cela, dysfonctio­nnels, peuvent conduire à ce genre de tragédie, mais je ne veux pas en faire un schéma absolu.

Aimer son enfant ce n’est pas forcément le connaître...

C’est exactement ça. C’est une espèce de vertige d’être avec quelqu’un, d’aimer un proche, d’autant plus son fils, et se dire qu’on ne connaît jamais une personne même si on l’aime complèteme­nt. Il y a des zones qui nous échappent. Il y a toujours un mystère qui résiste.

Pourquoi avoir situé ce livre à Nice ?

Il y a plusieurs raisons personnell­es. D’abord, parce que mes parents, qui venaient de Tunisie et du Maroc, se sont rencontrés et mariés à Nice et y ont commencé leur vie de famille. L’un de mes frères y est né. J’ai passé beaucoup d’été à Nice puisque ma grandmère et ma tante y étaient toujours. Pourtant, comme vous l’avez lu, ce n’est pas une vision naturalist­e de la ville que je donne dans le livre. On est plus dans un univers mental et mythologiq­ue. J’avais envie aussi de placer cette histoire dans une ville très cosmopolit­e et très culturelle. Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi Nice.

Les méduses sont très présentes : dans l’histoire, sur la couverture du livre...

Il se trouve que j’en ai vu en aquarium, à Monaco notamment. J’ai surtout un souvenir de l’aquarium de San Francisco, où j’ai vu les plus grosses méduses. Ça m’avait créé un choc hallucinan­t, j’ai trouvé ça magnifique, hypnotisan­t. Je me suis emparée des sensations que j’ai ressenties en les regardant pour le livre. PAR NATHALIE RICCI

nricci@nicematin.fr

Newspapers in French

Newspapers from France