Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Pinot, l’espoir permanent

Doué, élégant et formidable grimpeur, Thibaut Pinot est le coureur qui doit permettre à la France de remporter son premier Tour depuis 1985. À condition que la chance s’en mêle

- MATHIEU FAURE

L’image a fait le tour du monde. Celle d’un Thibaut Pinot, 5e du classement général, qui abandonne le Tour à la 19e étape sur la route du col de l’Iseran à deux jours de l’arrivée à Paris. Une terrible désillusio­n pour celui qui se voyait remporter le Tour. Dans les Pyrénées, il avait marché sur la concurrenc­e, ridiculisa­nt Egan Bernal dans le Tourmalet et au Prat d’Albis. C’était son année. Et puis le sort s’en est mêlé. Encore… Sur la route qui le ramenait à Tignes après son abandon, il a vécu un cauchemar. « Ce jour-là, entre mon abandon et l’arrivée à Tignes, j’ai passé trois ou quatre heures dans la voiture, les plus longues de ma vie, peut-être », raconte-t-il dans le magazine Pédale. « C’était une journée tellement horrible que je crois que le soir même, si j’avais pu annoncer la fin de ma carrière sur le coup de la déception, je l’aurais fait. » Et s’il avait laissé passer sa seule chance de gagner le Tour ? « Depuis 2014, on nous dit que c’est l’année ou jamais pour voir un Français remporter le Tour, on en rigole à force », détaillait-il, hier, en conférence de presse. Il faut dire que le natif du Jura avait placé la barre très haut dès son bizutage sur la Grande Boucle en 2012. A 22 piges, il gagne une étape pour son premier Tour et termine 10e. Christian Prudhomme, le big boss de l’épreuve, tombe immédiatem­ent sous le charme. « C’est peut-être le très grand grimpeur que la France attend depuis longtemps. » Huit ans plus tard, Pinot n’a pas encore gagné le Tour malgré des succès virevoltan­ts (3e en 2014, une étape en 2015 et une autre l’an dernier). Mais il y a aussi quatre abandons et aucun Tour terminé depuis 2015. On le dit fragile, notamment depuis sa pneumonie chopée au Giro 2018, qui va l’obliger à suivre le Tour de France de cette année-là depuis son domicile. En mai 2018, il terminera une étape italienne à l’hôpital alors qu’il était en lice pour le podium, avec un début de pneumopath­ie et 40°C de fièvre. Son souci ? La troisième semaine de course, quand son taux de masse graisseuse s’est fait la malle et qu’il se retrouve à la merci de la moindre bactérie. Dans sa famille, on pointe un terrain héréditair­e favorable aux virus, même les plus bénins. Pinot n’en fait pas une fatalité. Depuis son abandon dans le dernier Tour, il a pris du recul. « Il ne peut rien m’arriver de pire, lance-t-il. Dans ma tête, je suis plus serein, plus fort, j’ai moins de pression que l’an dernier, je ne perds plus d’énergie inutile dans la gestion émotionnel­le du Tour. Tout ça m’a endurci. » Le confinemen­t est aussi passé par là. Alors qu’il est encore engagé sur Paris-Nice, il est contraint, comme toute la caravane, de s’arrêter avant la dernière étape. Dans la foulée il rejoint Mélisey, en HauteSaône, en voiture.

Là, chez lui, dans une région gravement touchée par le coronaviru­s, à une heure de route de Mulhouse, il observe son voisin se faire embarquer par le Samu avant que ses deux parents ne tombent, eux aussi, malades. Pinot a mis du temps à prendre la mesure de la gravité de la situation. A ses proches, il laisse entendre que s’il avait été sur Paris au soir du PSG-Dortmund du 11 mars, il aurait sans doute été se mêler aux ultras aux abords du Parc des Princes, lui le grand fan du PSG. Chez lui, il va être confiné entre son home trainer, qu’il martyrise plusieurs heures par jour, et ses animaux (quatre ânes, deux vaches, une dizaine de chèvres et autant de moutons). On ne l’appelle pas « l’ours de Mélisey » pour rien. Pinot est un mec à l’ancienne, mais très apprécié dans le peloton. Pas question d’être un leader dictatoria­l, « on n’a pas à mettre la main sur la course, ce n’est pas ma façon de courir ». Jumbo et Ineos ? « Deux armadas, mais on est juste derrière, on n’a pas à avoir peur, d’autant qu’ils auront le poids de la course à gérer, pas nous. » Dans un Tour particulie­r en raison du coronaviru­s – « On court avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête » – le garçon de 30 ans veut surtout faire du mieux possible. Comprendre : être sur le podium. Le maillot jaune ? «Unrêve. Ça serait un manque de terminer ma carrière sans jamais l’avoir porté. » Quitte à le prendre dès les étapes niçoises. «Sijepeuxle­prendre, je le prends », conclut-il. On le devine dans son discours : le Tour reste son Graal, lui qui n’a fini que six des douze grands tours auxquels il a participé. Reste aussi ce mystère de la cuisse gauche qui a lâché l’an dernier. « Ça restera l’énigme de ma carrière. On a eu beau chercher, réfléchir à tout, on n’a jamais su d’où ça venait ni pourquoi c’est venu », boucle-t-il. Finalement, c’est en lisant le tatouage inscrit sur son bras que l’on cerne sa vision du cyclisme : « Solo la vittoria è bella ». CQFD.

Je suis plus serein, plus fort, je ressens moins de pression ”

 ?? (Photo MaxPPP/EPA) ?? Troisième du Tour en , Thibaut Pinot veut effacer la terrible déception de l’édition .
(Photo MaxPPP/EPA) Troisième du Tour en , Thibaut Pinot veut effacer la terrible déception de l’édition .

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