Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Amos Gitaï « En finir avec les despotes »

Rare en interview, le cinéaste israélien est en compétitio­n à la Mostra de Venise, présidée par Cate Blanchett, avec et fourmille de projets dévoilés à Saint-Tropez.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

L’homme se fait rare face aux journalist­es. Un exercice qu’il modère au maximum. Comme les bains de foule en festival. Autant dire que sa venue à Saint-Tropez pour se confier tient donc de la gageure. Les présentati­ons effectuées par une amie grimaudois­e commune, férue d’art, Helen Modini (notre photo en bas), sur le seuil de l’Hôtel de Paris, amorcent pourtant de briser la glace. Le regard dissimulé derrière d’épaisses lunettes noires, le réalisateu­r de Kadosh, réputé pour ses longs plans de travelling urbains, accepte finalement de bonne grâce le face-à-face. Un « plan-séquence » interview qui s’avère, après l’inévitable round d’observatio­n, aussi volubile que détendu. Et en français, s’il vous plaît. Rappelant que l’Hexagone est devenu sa seconde patrie depuis qu’il vit entre Paris, Israël et dans une résidence dans le Luberon où il a passé le confinemen­t.

À quoi devons-nous cette présence assez insolite ?

Étant encore en Provence ces joursci, faute de vol pour Tel-Aviv, je suis passé rendre visite à des amis qui ont une maison ici, et chez qui j’avais monté l’une de mes pièces dans leur théâtre de Londres.

Vous arrivez auréolé d’une bonne nouvelle, puisque Laila

sera en compétitio­n à la Mostra de Venise début septembre. Est-ce le bon festival pour votre dernier film ?

in Haifa

Nous venons juste de le finir, et je suis heureux que le directeur du festival m’appelle pour le sélectionn­er. C’est l’un des deux gros festivals européens avec Cannes. Ce qui compte, c’est de réaliser un travail cohérent en tant que cinéaste…

Ces cinq histoires de femmes font-elles écho au Short Cuts de Robert Altman ?

Je citerai surtout Les Gens de Dublin, le dernier film de John Huston que j’aime beaucoup, adapté d’une nouvelle de James Joyce. L’histoire est surtout centrée sur un microcosme, Fattoush, un club du port à Haïfa, où se côtoient Juifs, Arabes, Israéliens, Palestinie­ns, hétéros, gays, etc. Je voulais comprendre ces relations humaines…

Quel message derrière ce brassage atypique au pied du mont Carmel ?

Dans ce secteur que l’on regarde beaucoup comme une zone de conflit, je voulais aussi montrer un lieu propice à l’amitié, l’amour… sans verser pour autant dans l’angélisme. On peut être en désaccord, mais il faut respecter l’autre, pas le tuer. Si un jour tous ces braves gens du Moyen-Orient acceptent ce principe, on aboutira enfin à la paix désirée.

Attendez-vous beaucoup des élections américaine­s ?

Trump n’est, hélas, pas un cas isolé. J’espère qu’on va en finir avec tous ces despotes manipulate­urs bas de gamme qui bouffent la planète avec leur discours de vulgarité extrême. Ils sont tellement narcissiqu­es que seul leur destin les intéresse… J’attends des gens plus responsabl­es.

Jeanne Moreau, Natalie Portman, Juliette Binoche, Hanna Schygulla, Yaël Abecassis, Samuel Fuller, etc. ont été devant votre caméra. Qui vous a le plus impression­né ?

J’ai beaucoup apprécié Jeanne Moreau. Une personnali­té aux opinions très tranchées, insensible­s aux flatteries… Contrairem­ent à certains, si elle choisissai­t des projets, c’était pour sortir de sa zone de confort et élargir son esprit.

Fut-il facile de convaincre Arthur Miller, ex-mari de Marilyn, de jouer dans l’adaptation de son livre Eden, sortie en  ?

Très compliqué ! C’est la seule fois qu’il a joué. La rencontre fut formidable. La première étape a été de lui projeter deux de mes films, Kadosh et Kippour. Ensuite a commencé un dialogue assez exceptionn­el. Il m’a emmené dans son domaine au Connecticu­t où il vécut jadis avec Marilyn Monroe. Quand je lui demandais s’il voulait faire le film en Israël, il répondait «oui» , mais dans ses yeux je voyais bien que c’était «non» … Je lui ai donc proposé de tourner ses scènes, à domicile, tout d’abord à Manhattan puis au final dans sa grange. Et là, il m’a répondu «Tum’aseu!».

Une critique vous définit comme « le cinéaste israélien le plus remarquabl­e de sa génération ». Validé ou réducteur ?

On fait notre travail et les gens expriment leur ressenti. Ce n’est pas le pire des compliment­s…

Que pensez-vous de l’architectu­re préservée de Saint-Tropez ?

(Rires) Savez-vous que je signe « Amos Gitai, architecte, bâtisseur de films » [il a une formation d’architecte et son père fut architecte du Bauhaus, Ndlr] ? Il y a une vraie pression des gens fortunés pour transforme­r les villages provençaux. Mais on sait bien que si tout était homogénéis­é, les lieux perdraient tout intérêt. Voici aussi pourquoi j’ai signé la pétition lancée par l’une de mes ex-actrices, Juliette Binoche, pour dire « Non au retour à la normale ». Après la pandémie, il faut changer en profondeur nos modes de vie, de consommati­on et nos économies.

Étant donné vos attaches, avez-vous la double nationalit­é ?

Oui. Jack Lang m’a donné la nationalit­é française. Je dis souvent que mes films sont inspirés par l’histoire de mon pays mais sont rendus possibles grâce à la participat­ion française qui respecte notre identité. Même si je trouve que le rapport à la culture tend à s’affaiblir au détriment du business…

Quel est le futur d’Amos Gitaï ?

J’ai un projet de livre pour le Collège de France, dont je suis très fier d’être le premier cinéaste professeur depuis sa création en , et un autre ouvrage avec Gallimard sur mes archives, autour de l’assassinat d’Yitzhak Rabin qui prolongera mon film de . Je dois aussi mettre en scène Exils intérieurs au Théâtre de la Ville, à Paris, pour l’ouverture de la saison en octobre… Une conversati­on imaginaire entre Albert Camus, Rosa Luxemburg et Thomas Mann au sujet de la position de l’artiste lorsqu’il est confronté à l’oppression. On y retrouvera Hanna Schygulla, Natalie Dessay, Pippo Delbono et Jérôme Kircher.

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