Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« L’habit fait bien le moine »

- La suite de notre enquête en page suivante

Médecin psychiatre à Nice, Jérôme Palazollo s’est intéressé au #lundi 14 septembre, mouvement né sur les réseaux sociaux, appelant les jeunes filles à s’habiller comme elles le voulaient pour aller en cours. Comme il a suivi aussi la polémique sur les propos du ministre Jean-Michel Blanquer recommanda­nt d’adopter « une tenue républicai­ne ».

Pourquoi la façon de se vêtir suscite-t-elle autant de réactions ?

Chez les ados, c’est leur côté libertaire. J’ai envie tant que je ne fais de mal à personne. Mais voilà, le vêtement n’est pas neutre et renvoie un message. Le fait de porter un “crop top”, d’avoir le nombril à l’air, même si la jeune fille en a parfaiteme­nt le droit, renvoie une image différente de la jupe classique. “L’habit ne fait pas le moine”, dit un vieil adage, mais, en psychologi­e, c’est totalement faux. L’habit fait bien le moine, car la façon dont on s’habille n’est pas neutre.

Le vêtement influence-t-il le comporteme­nt des autres ?

Absolument. En , des chercheurs en psychologi­e sociale de l’université de Bretagne-Sud ont simulé un vol dans un magasin de disques CD. Le voleur – un membre de l’équipe – était tantôt vêtu d’un jean et baskets, tantôt d’un costume cravate. Tout en s’assurant de bien attirer l’attention d’un « vrai » client, il dérobait un CD et le cachait sur lui. Les résultats du test sont éloquents : lorsque le voleur était en jean,  % des clients l’ont signalé au vigile du magasin. Quand il portait un costume, ils n’étaient plus que  %. Le vêtement envoie donc un message. Mieux, ce que vous portez vous influence aussi.

Notre propre comporteme­nt est-il modifié par la façon dont on s’habille ?

Cela a été prouvé en  par une équipe de chercheurs en psychologi­e sociale de l’université de Columbia (États-Unis). Lors de cette expérience, des volontaire­s ont été soumis à un test d’attention très difficile. Si on leur fait enfiler, avant ce test, une blouse blanche en disant qu’il s’agit de la blouse d’un médecin, alors ils sont nettement plus attentifs, avec deux fois moins d’erreurs au test. La blouse affecte la performanc­e, pas seulement la perception. Si on dit au candidat que la blouse qu’il porte est celle d’un peintre, alors cet effet sur l’attention disparaît totalement. C’est l’effet d’amorçage : le simple fait d’être exposé à une idée nous influence. Un troisième test a été mené. On expose les sujets à la vue d’une blouse de médecin mais sans la faire enfiler : l’effet sur l’attention est nul. Pour avoir un impact, il faut la combinaiso­n de deux facteurs : la charge symbolique du vêtement et le fait de le porter.

On est ce que l’on porte, alors ?

Plus exactement, la manière dont on s’habille impacte le comporteme­nt des autres et change aussi le nôtre. Dès lors, il faut s’habiller en conformité avec le lieu où l’on se trouve et où l’on travaille.

Vive l’uniforme ?

À l’étranger, des écoles imposent l’uniforme par souci d’équité. Mais cela n’a rien d’égalitaire car chacun, en fonction de sa morphologi­e et de tas d’autres paramètres, porte plus ou moins la veste d’uniforme.

Quelle est la solution, alors ?

Fixer les règles, pour dire clairement ce qu’on a le droit de faire ou pas. Cela passe par le règlement intérieur des établissem­ents qui doivent définir ce qu’est une tenue correcte qui s’impose à tous, filles et garçons. Sans faire deux poids, deux mesures. On a tous besoin de limites. Le slogan de Mai- “il est interdit d’interdire” a été une catastroph­e psychologi­que. Car on a besoin de se frotter à des interdicti­ons pour éviter les débordemen­ts.

Derrière le #lundi  septembre, c’est le sentiment éprouvé par les jeunes filles d’être davantage sanctionné­es pour leur tenue que leurs camarades garçons. Votre sentiment ?

La problémati­que repose sur des règles adaptées, précises et acceptées par tous. Et c’est au règlement intérieur de chaque établissem­ent de les établir. Ce n’est pas juste une question de tenue adaptée et du poids du regard des garçons. On ne peut pas demander aux filles de se couvrir pour gérer leurs pulsions ! C’est là, un autre débat autour d’un gros travail d’éducation de nos adolescent­s. Et ce sont aux parents à le mener.

Faire de la tenue vestimenta­ire une liberté des femmes : un faux débat selon vous ?

La tenue correcte à l’école passe par des règles précises, acceptées qu’il faut connaître. C’est comme si vous roulez à  km/h sur une autoroute ayant des panneaux de limitation de vitesse à . En cas de contrôle, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vousmême, puisque vous avez enfreint la règle volontaire­ment. Pour les tenues vestimenta­ires à l’école, c’est la même chose. Soit le short ou le “crop top” est permis par le règlement intérieur de l’établissem­ent, soit il ne l’est pas. Point barre. En revanche, évaluer au jugé, cela débouche sur des débats sans fin.

 ??  ?? Les règles énoncées pour les filles sont tout aussi valables pour les garçons.
Les règles énoncées pour les filles sont tout aussi valables pour les garçons.
 ?? (DR) ?? « Porter un « crop top » avec le nombril à l’air envoie une image différente de la jupe classique », décrypte le Dr Jérôme Palozzolo.
(DR) « Porter un « crop top » avec le nombril à l’air envoie une image différente de la jupe classique », décrypte le Dr Jérôme Palozzolo.

Newspapers in French

Newspapers from France