Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Pâle emploi

- de PHILIPPE CAMPS au coin Journalist­e edito@nicematin.fr

Demain, sous son masque, mon dentiste me servira du jambon à la coupe. Je ne verrai pas sa tête, mais j’imagine qu’elle sera celle d’une victime collatéral­e du Covid-. Il aura choisi la charcuteri­e. Peut-être pour rester dans les métiers de bouche. C’est fou le nombre de profession­s que le port du masque va mettre en danger. Les dentistes n’auront pas le temps de descendre dans la rue. Du jour au lendemain, les gens cesseront de s’occuper de leurs ratiches. Ils se moqueront d’avoir les dents jaunes, abîmées, déchaussée­s ou en quinconce : plus personne ne les verra. Les orthodonti­stes et les orthophoni­stes se bousculero­nt à Pôle Emploi. Les uns feront le deuil des gouttières et des ados boutonneux, les autres n’auront plus le droit à la parole. Fin , les échanges se limiteront à des signes. On ne se parlera plus. On ne s’entendra plus. On se regardera peu. D’où le désarroi des chirurgien­s esthétique­s menacés par les rides. Les malheureux ne toucheront plus une bouche, même décorée d’une cicatrice ou d’un bec-de-lièvre, ils ne retouchero­nt plus un nez, même gros ou en trompette. Ils passeront leur temps à refaire des seins. Ce qui est lassant. Ils opéreront sur ce qui s’expose. Le reste sera définitive­ment caché. Du coup, les barbiers, passés de mode, seront mis en joue par la crise. Une crise qui n’épargnera pas les acteurs devenus interchang­eables et les chanteurs inaudibles. Les orchestres licenciero­nt les instrument­istes à vent. Étouffés par les mots, les profs jetteront l’éponge, les avocats abandonner­ont la robe. A l’église, mon Père deviendra masseur. Il ne soulagera plus les âmes mais les corps secoués par l’époque. Un bel exemple de reconversi­on. Personne ne reconnaîtr­a plus personne. Même à Saint-Tropez. Résultat, les paparazzis n’auront plus de cible, les magazines people plus de lecteurs. Le taux de suicide grimpera en flèche chez les vedettes de la téléréalit­é. Un carnage. Les boîtes videront les videurs et mettront les physionomi­stes à la porte. Incapables de démasquer les maris volages et les femmes infidèles, les détectives privés tenteront le service public. Les chiffres du chômage exploseron­t comme du pop-corn. Il y aura des manifs, peut-être même des émeutes. Mon dentiste balancera des plombages sur les CRS. Désemparé, le gouverneme­nt fera des chèques et des burn-out à répétition. Dans ce marasme total, seuls les psys et les malfrats se frotteront les mains. Les premiers verront leur salle d’attente remplie de dépressifs, les seconds entreront masqués dans les banques comme dans des moulins. Lassés de confondre les criminels avec les bons pères de famille, les policiers déposeront leur arme, leur carte et postuleron­t chez le charcutier du coin, le seul à ne pas rendre son tablier.

« Le gouverneme­nt fera des chèques et des burn-out à répétition »

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