Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Amok, spree killer, matricide :

L’avis de Daniel Zagury, expert psychiatre

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De Guy Georges à Patrice Alègre, en passant par Michel Fourniret, et plus récemment des terroriste­s, l’expert psychiatre Daniel Zagury a été amené à rencontrer et à analyser les comporteme­nts de tueurs en série. Ce psychiatre des hôpitaux, spécialist­e de psychopath­ologie et de psychiatri­e légale, expert auprès de la Cour d’appel de Paris, cherche à comprendre ce qui mène à l’effroyable, à commettre les crimes les plus monstrueux. Nous l’avons interrogé sur le cas d’Eric Borel, sur ce qui aurait pu déclencher une telle fureur meurtrière…

Une inconnue demeure : comment un adolescent a-t-il pu commettre de tels actes ?

Dans la mesure où il n’y a pas de dossier sur sa personnali­té, il est complexe de tirer des conclusion­s probantes. Ce drame me rappelle mon premier dossier en tant qu’expert judiciaire : la tuerie de Luxiol, dans le Jura, en . L’affaire Christian Dornier. C’est un jeune agriculteu­r qui, après avoir abattu sa mère, sa soeur, l’inséminate­ur de bovins venu à la ferme, va tuer au hasard les personnes qu’il croise sur son chemin. Trois collèges d’experts se sont penchés sur son cas et ont abouti à un état de démence, à un état de décompensa­tion psychique. À une fuite en avant. Christian Dornier a été déclaré victime d’un trouble psychique ayant aboli son discerneme­nt et considéré irresponsa­ble pénalement en . Il est,

Quinze victimes – rassemblée­s dans le gymnase de Cuers après le massacre – sont tombes sous les balles d’un tueur qui visait au hasard des rencontres.

depuis plus de  ans, en hôpital psychiatri­que et ne souhaite absolument pas en sortir d’ailleurs.

On parle de « tueur en masse… »

Je parlerais de spree killer. De tueur en chaîne qui abat dans un certain laps de temps tous ceux qui se trouvent sur son passage. Dans le cas de Cuers, on est dans ce scénario même s’il y a un temps de pause entre les meurtres au domicile familial à Solliès-Pont et dans la campagne et les rues de Cuers. Si je l’avais expertisé, j’aurais commencé par une exploratio­n neurologiq­ue. Ensuite, je me serais attaché au rapport avec sa mère [la seule retrouvée avec le visage indemne lors du triple meurtre, Ndlr]. On est dans le cadre d’un matricide élargi.

À l’image de la folie meurtrière de Pierre Rivière, un matricide étudié notamment par le philosophe Michel Foucault.

Nous sommes en , Pierre Rivière est un jeune paysan [il a  ans, Ndlr]. Il va tuer quatre membres de sa famille dont sa mère, marcher des centaines de kilomètres dans la campagne dans le Calvados, avant d’être arrêté. Il écrira un mémoire de plusieurs pages dans lequel il explique son geste. Un texte qui débute par « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère… » qui sera étudié par Michel Foucault qui reprendra d’ailleurs cette célèbre phrase. On y voit nettement une décompensa­tion. Une fuite en avant avec une sorte de toute puissance d’un être frustré, brimé. Il y a une dimension mégalomani­aque, une fuite suicidaire. Pierre Rivière se pendra dans sa cellule.

Vous parlez de l’amok. De quoi s’agit-il ?

C’est la folie, une rage meurtrière. Une rage qui tue. Le terme a été employé à propos du comporteme­nt de certains Malaisiens notamment chez lesquels on a constaté une forme d’expression de la folie au cours de laquelle on se saisit d’un couteau et où l’on frappe ceux que l’on croise. Une folie née d’humiliatio­n, de frustratio­n. Une course en avant suicidaire. Une rage incontrôla­ble.

Quinze victimes, des blessés et un assassin qui s’est infligé sa propre peine de mort en retournant son arme contre lui. Le 24 septembre 1995, alors que l’impensable venait de se produire, s’éteignait avec l’auteur des crimes toute action publique. Sans procès. Sans explicatio­ns. Que sait-on aujourd’hui d’Eric Borel, de sa personnali­té, des signes qui auraient pu alerter ? C’est un portrait posthume du jeune homme qui a pu être esquissé au fil des jours après les déclaratio­ns de ses proches, de son entourage, de ses professeur­s. Le portrait d’un adolescent presque comme tous les autres, scolarisé au lycée profession­nel Cisson à Toulon où il tisse des liens amicaux avec Alan Guillemett­e – sa première victime du 24 septembre – et une jeune fille qui semble lui plaire. On le décrit comme calme, plutôt réservé voire étrange, taciturne, secret.

Famille recomposée

Il lit des BD glauques, se passionne pour des documents inspirés de l’idéologiqu­e nazie enfermé dans sa chambre. Physiqueme­nt, Eric Borel est un garçon assez costaud qui en impose par un certain charisme et par sa taille. Il paraît plus âgé que son âge. Enfant du divorce, élevé par ses grands-parents maternels dans le sud-ouest avant de rejoindre sa mère Marie-Jeanne dans le Var, employée à mairie de Solliès-Pont. Privé de la présence de son père biologique, sous-marinier, il se retrouve alors dans une famille recomposée autour de Yves, le beau-père et JeanYves, son demi-frère. et de Jean-Luc et Franck, les aînés, enfants du premier mariage d’Yves. Une famille apparemmen­t tranquille où lors de la soirée du 23 septembre un élément inconnu va déclencher le pire, comme une cocotte-minute qui explose.

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(Archives Var-matin)
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(Photo DR) Eric Borel.

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