Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Patient partenaire, expert de la vie avec la maladie

Médecins, malades, ils partagent leurs connaissan­ces. Première en France à avoir établi un vrai partenaria­t avec les malades, la faculté de médecine de Nice les associe à l’enseigneme­nt

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr 1. Diplôme accessible aux patients, aux profession­nels de santé et aux étudiants. Inscriptio­ns jusqu’au 8 octobre. Renseignem­ents par mail : ci3p@univcoteda­zur.fr

C’est une structure quasi unique en France : né en 2019, grâce au soutien du doyen de la Faculté de médecine de Nice, Patrick Baqué, le Centre d’innovation du partenaria­t avec les patients et le public (CI3P) de Nice a déjà pour singularit­é d’être codirigé par un médecin, David Darmon, et un patient, Luigi Flora. Sa mission : participer au développem­ent du partenaria­t de soin avec le patient dans l’enseigneme­nt, les milieux de soin et la recherche. La structure a créé un diplôme universita­ire (DU) de « l’art du soin » et lance un appel

(1) à candidatur­es en direction de malades qui souhaitera­ient participer à cet enseigneme­nt. Rencontre avec les principaux acteurs : le Pr David Darmon, chef du départemen­t d’enseigneme­nt et de recherche de médecine générale, le Dr Jean-Michel Benattar, fondateur de la Maison de la médecine et de la culture (MMC), Luigi Flora, patient qui a contribué, il y a 10 ans, au lancement du concept de patient partenaire à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et Eric Balez, patient expert, délégué départemen­tal de l’associatio­n François Aupetit.

Longtemps, les malades ont été très infantilis­és. Qu’est-ce qui a amené à les envisager comme des partenaire­s ?

Avec le développem­ent d’Internet, qui a démocratis­é l’accès aux informatio­ns médicales, les connaissan­ces ne sont plus l’apanage des profession­nels de santé. En s’intéressan­t à la recherche sur leur pathologie, aux nouveaux médicament­s et en suivant l’actualité de la prise en charge, certains malades acquièrent des connaissan­ces très ciblées voire pointues qui, couplées à celles du médecin, forment un savoir précieux. Face à cet état de fait, on constate deux tendances d’accueil par les profession­nels de santé : certains y voient une opportunit­é d’enrichir réciproque­ment la qualité de la relation médicale là où d’autres peinent encore à envisager le patient comme un sachant.

Pourquoi aller jusqu’à intégrer des malades à l’enseigneme­nt ?

Le malade a un vrai savoir expérienti­el que ne possède pas le profession­nel de santé. Celui-ci est un expert de la maladie quand le premier est un expert de la vie avec la maladie. Une étude réalisée il y a déjà quelques années par un sociologue auprès de patients diabétique­s avait ainsi abouti à ces résultats très explicites : ces malades passent en moyenne  à  heures par an avec un profession­nel de santé alors qu’eux-mêmes (et leurs familles) consacrent   heures par an à la prise en charge de leur maladie, dont plus de  % à des soins ! Le patient est un soignant à part entière de sa maladie. Il détient un savoir qu’il peut mettre au bénéfice de ses soins, mais qui peut être aussi utile au profession­nel de santé dans sa pratique. En associant le malade à l’enseigneme­nt, on explique ainsi aux étudiants que le soin, ce n’est pas seulement détenir des connaissan­ces, mais que c’est aussi faire avec le malade.

Envisager le patient comme un véritable acteur de ses soins n’est-ce pas plus prosaïquem­ent une manière de pallier le manque de profession­nels de santé et de limiter les coûts ?

On ne peut pas nier qu’avec l’explosion des maladies chroniques (on estime qu’une personne de  ans souffre en moyenne de  maladies chroniques), si l’on ne tend pas vers l’autonomisa­tion des patients, le système de santé risque en effet de se fragiliser.

Tous les patients sont-ils favorables à cette autonomisa­tion ?

Non, certains privilégie­nt le mode directif. Ils ne souhaitent pas être partenaire­s, et ne veulent pas gagner en autonomie. Ils se sentent plus en sécurité en confiant les rênes au médecin. D’autres malades, gravement atteints, sont en accord avec ce qu’ils ont et ne cherchent pas la guérison ; ils réclament simplement une qualité de vie avec la maladie. On doit bien sûr respecter chaque position.

Le fait que le patient devienne un partenaire des soins ne risque-t-il pas de compliquer l’exercice de la médecine ?

L’objectif est au contraire de redonner du sens à l’acte médical et de la proximité dans la relation patient-médecin. Il a été constaté que la difficulté, voire le burnout, survient lorsque le médecin s’est inconsciem­ment « déshumanis­é » en ne focalisant son attention médicale que sur les parties du corps plutôt que sur le malade dans son entièreté. Par cette collaborat­ion de savoirs – médical et expérienti­el – la confiance réciproque et la lisibilité des décisions communes brisent la solitude de chacun, induite par la maladie, et apportent une sérénité bipartite.

Si le patient participe pleinement à ses soins, pourraitil être un jour tenu responsabl­e en cas d’incident au cours des soins ?

C’est une vraie question. Il faut que l’on soit attentif à un glissement des responsabi­lités ; une fois que l’on donne de l’autonomie à un patient, on pourrait estimer que si ça se passe mal, c’est de sa faute. Il y a actuelleme­nt sur ce propos un vide juridique sur lequel nous travaillon­s.

Quels critères doivent remplir les patients que vous souhaitez associer à l’enseigneme­nt ?

Nous recherchon­s des personnes ayant une expérience de vie avec la maladie et qui souhaitent servir l’intérêt général, en participan­t à la formation, la recherche et les soins. Il est important que ces personnes aient une certaine distance vis-à-vis de leur propre maladie, et qu’ils ne soient pas dans une posture de revendicat­ion. Les candidats seront bien sûr évalués aussi sur leur savoir expérienti­el, leurs capacités à communique­r ce savoir à des étudiants des filières santé. On n’attend pas d’eux un simple témoignage.

Ces heures d’enseigneme­nt seront-elles rémunérées ?

Nous avons obtenu un budget de l’ARS pour développer la notion de « patient partenaire ». Si nous n’avons pas encore défini le mode de rémunérati­on, il est en effet prévu que ces interventi­ons ne soient pas dispensées à titre bénévole.

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(Photo N.C.) De gauche à droite, le Pr David Darmon, Luigi Flora (en visio), le Dr Jean-Michel Benattar et Eric Balez.

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