Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Patient partenaire, expert de la vie avec la maladie
Médecins, malades, ils partagent leurs connaissances. Première en France à avoir établi un vrai partenariat avec les malades, la faculté de médecine de Nice les associe à l’enseignement
C’est une structure quasi unique en France : né en 2019, grâce au soutien du doyen de la Faculté de médecine de Nice, Patrick Baqué, le Centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public (CI3P) de Nice a déjà pour singularité d’être codirigé par un médecin, David Darmon, et un patient, Luigi Flora. Sa mission : participer au développement du partenariat de soin avec le patient dans l’enseignement, les milieux de soin et la recherche. La structure a créé un diplôme universitaire (DU) de « l’art du soin » et lance un appel
(1) à candidatures en direction de malades qui souhaiteraient participer à cet enseignement. Rencontre avec les principaux acteurs : le Pr David Darmon, chef du département d’enseignement et de recherche de médecine générale, le Dr Jean-Michel Benattar, fondateur de la Maison de la médecine et de la culture (MMC), Luigi Flora, patient qui a contribué, il y a 10 ans, au lancement du concept de patient partenaire à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et Eric Balez, patient expert, délégué départemental de l’association François Aupetit.
Longtemps, les malades ont été très infantilisés. Qu’est-ce qui a amené à les envisager comme des partenaires ?
Avec le développement d’Internet, qui a démocratisé l’accès aux informations médicales, les connaissances ne sont plus l’apanage des professionnels de santé. En s’intéressant à la recherche sur leur pathologie, aux nouveaux médicaments et en suivant l’actualité de la prise en charge, certains malades acquièrent des connaissances très ciblées voire pointues qui, couplées à celles du médecin, forment un savoir précieux. Face à cet état de fait, on constate deux tendances d’accueil par les professionnels de santé : certains y voient une opportunité d’enrichir réciproquement la qualité de la relation médicale là où d’autres peinent encore à envisager le patient comme un sachant.
Pourquoi aller jusqu’à intégrer des malades à l’enseignement ?
Le malade a un vrai savoir expérientiel que ne possède pas le professionnel de santé. Celui-ci est un expert de la maladie quand le premier est un expert de la vie avec la maladie. Une étude réalisée il y a déjà quelques années par un sociologue auprès de patients diabétiques avait ainsi abouti à ces résultats très explicites : ces malades passent en moyenne à heures par an avec un professionnel de santé alors qu’eux-mêmes (et leurs familles) consacrent heures par an à la prise en charge de leur maladie, dont plus de % à des soins ! Le patient est un soignant à part entière de sa maladie. Il détient un savoir qu’il peut mettre au bénéfice de ses soins, mais qui peut être aussi utile au professionnel de santé dans sa pratique. En associant le malade à l’enseignement, on explique ainsi aux étudiants que le soin, ce n’est pas seulement détenir des connaissances, mais que c’est aussi faire avec le malade.
Envisager le patient comme un véritable acteur de ses soins n’est-ce pas plus prosaïquement une manière de pallier le manque de professionnels de santé et de limiter les coûts ?
On ne peut pas nier qu’avec l’explosion des maladies chroniques (on estime qu’une personne de ans souffre en moyenne de maladies chroniques), si l’on ne tend pas vers l’autonomisation des patients, le système de santé risque en effet de se fragiliser.
Tous les patients sont-ils favorables à cette autonomisation ?
Non, certains privilégient le mode directif. Ils ne souhaitent pas être partenaires, et ne veulent pas gagner en autonomie. Ils se sentent plus en sécurité en confiant les rênes au médecin. D’autres malades, gravement atteints, sont en accord avec ce qu’ils ont et ne cherchent pas la guérison ; ils réclament simplement une qualité de vie avec la maladie. On doit bien sûr respecter chaque position.
Le fait que le patient devienne un partenaire des soins ne risque-t-il pas de compliquer l’exercice de la médecine ?
L’objectif est au contraire de redonner du sens à l’acte médical et de la proximité dans la relation patient-médecin. Il a été constaté que la difficulté, voire le burnout, survient lorsque le médecin s’est inconsciemment « déshumanisé » en ne focalisant son attention médicale que sur les parties du corps plutôt que sur le malade dans son entièreté. Par cette collaboration de savoirs – médical et expérientiel – la confiance réciproque et la lisibilité des décisions communes brisent la solitude de chacun, induite par la maladie, et apportent une sérénité bipartite.
Si le patient participe pleinement à ses soins, pourraitil être un jour tenu responsable en cas d’incident au cours des soins ?
C’est une vraie question. Il faut que l’on soit attentif à un glissement des responsabilités ; une fois que l’on donne de l’autonomie à un patient, on pourrait estimer que si ça se passe mal, c’est de sa faute. Il y a actuellement sur ce propos un vide juridique sur lequel nous travaillons.
Quels critères doivent remplir les patients que vous souhaitez associer à l’enseignement ?
Nous recherchons des personnes ayant une expérience de vie avec la maladie et qui souhaitent servir l’intérêt général, en participant à la formation, la recherche et les soins. Il est important que ces personnes aient une certaine distance vis-à-vis de leur propre maladie, et qu’ils ne soient pas dans une posture de revendication. Les candidats seront bien sûr évalués aussi sur leur savoir expérientiel, leurs capacités à communiquer ce savoir à des étudiants des filières santé. On n’attend pas d’eux un simple témoignage.
Ces heures d’enseignement seront-elles rémunérées ?
Nous avons obtenu un budget de l’ARS pour développer la notion de « patient partenaire ». Si nous n’avons pas encore défini le mode de rémunération, il est en effet prévu que ces interventions ne soient pas dispensées à titre bénévole.