Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Parents épuisés, familles en souffrance
Mis à rude épreuve avec l’épidémie de la Covid-19, certains parents sont en but à un véritable épuisement parental. Un « burn out » qui peut mettre à mal tout l’équilibre familial
Le facteur de risque essentiel, c’est la tendance à la perfection
Les parents sont déjà nombreux, depuis la rentrée scolaire, à devoir à nouveau télétravailler tout en gardant les enfants à la maison à cause de l’épidémie de la Covid-19. Et pour l’avoir déjà expérimenté durant le confinement, ils savent à quel point c’est difficile à gérer. Et risqué ? Le Dr Philippe Garcia, pédopsychiatre au centre hospitalier Henri-Guérin à Pierrefeu (Var) et vice-président de l’école des parents du Var rencontre régulièrement des parents « littéralement épuisés » et remarque que «leconfinement a renforcé le nombre de cas ». Peut-on pour autant parler de burn out parental, comme on parle de burn out au travail ? Explications.
Le burn-out parental, c’est un concept formel ?
C’est un peu une « novlangue », le concept n’est pas encore formalisé sur le plan médical mais l’épuisement parental, ça existe bel et bien. Dans notre clinique quotidienne, nous rencontrons régulièrement ces parents littéralement épuisés. Ce n’est pas un phénomène aigu, qui se manifeste brutalement. C’est plutôt un processus lent, insidieux, une accumulation de défaites parentales, personnelles, conjugales. Le parent ne s’en rend compte que tardivement.
Comment en arrive-t-on à ce stade ? Y a-t-il des facteurs de risque ?
Le facteur de risque essentiel, c’est la tendance à la perfection, à l’idéalisation du rôle du parent. C’est dans l’air du temps, largement véhiculé par les réseaux sociaux qui renvoient une image du parent parfait sous toutes les coutures ! L’épuisement parental a beaucoup à voir aussi avec le statut de l’enfant. Il faudrait qu’il ne manque de rien et que le parent soit aimé de son enfant. Ce besoin de perfection vient souvent avec le besoin d’être aimé par l’enfant, et ça, c’est un piège. Ce n’est pas ce dont ont besoin les enfants ! L’enfant a besoin de sécurité, d’un parent cohérent, stable, fiable.
Certains parents ou certaines familles, monoparentales par exemple, sont-ils prédisposés ?
C’est un phénomène encore récent. Il existe quelques études, mais encore peu nombreuses. Le risque lié à la monoparentalité n’y apparaît pas. C’est dans les milieux où l’éducation est plus poussée, la plus attendue, que l’on constate plus fréquemment ce type d’épuisement. Ce sont des parents qui mettent la barre trop haut en tentant de répondre à l’injonction idéalisée de la parentalité que la société leur renvoie.
Ces parents sont-ils nombreux ?
De à % des parents sont concernés, selon les pays qui ont fait un travail sur le sujet.
Quelle conséquence sur la santé du parent ?
Cliniquement, on constate un épuisement psychique et physique qui ne se résout pas avec un repos ordinaire, associé à une mise à distance affective visà-vis de l’enfant. Le parent se comporte un peu comme un automate, il se détache d’un point de vue affectif, émotionnel et cette distanciation est parfois physique. L’enfant le ressent et c’est alors un cercle vicieux car il va être encore plus en demande face à ce parent qui ne peut plus répondre.
Il y a aussi des conséquences narcissiques pour le parent, qui ne se reconnaît plus, qui ne sait pas en parler et qui développe une forte culpabilité. C’est un tabou tel, que souvent ce n’est pas lui qui va demander de l’aide.
Des différences selon que l’épuisement touche le père ou la mère ?
Quand il s’agit de la mère, elle souffre de façon internalisée. Elle déprime, elle dort moins, elle évite l’enfant… qui va être très anxieux de constater cette souffrance. Du côté du père, c’est un peu l’opposé. L’expression de l’épuisement parental paternel se manifeste de deux façons : soit on a un père démissionnaire de ses fonctions, soit on a un phénomène d’emprise sur l’enfant qui peut donner lieu à de l’hostilité, de la brutalité, voire à de la violence.
La solidarité entre parents qui permet de tenir, risque de ne plus exister, ce qui renforce les difficultés pour les parents et pour l’enfant ou la fratrie. Cela fait de ce trouble un trouble familial global. Si l’on attend trop pour s’en préoccuper, tout le monde peut pâtir de l’épuisement d’un parent.
Quand faut-il consulter ?
Le parent ne va pas forcément demander de l’aide car la conscience de ce phénomène est assez irrégulière. Le soutien familial ou conjugal peut être un premier point d’appui. Une grande partie s’en sort sans suivi grâce à un tiers qui va favoriser une prise de conscience. Cette prise de conscience permet de se décaler, de mesurer les conséquences du syndrome. Il peut aussi y avoir besoin d’un soutien, mais pas forcément psychologique ou médical. Il existe des groupes de parents et des structures, comme l’école des parents, qui proposent du soutien à la parentalité et permettent d’évoquer sans stigmatisation le stade où l’on se trouve en tant que parent, ses difficultés. L’enfant peut aussi être ressource : si le parent décale quelque peu ses attentes, s’il se rend disponible sans attentes, l’enfant peut lui renvoyer une image très narcissique qui peut être source de réassurance mutuelle. L’enfant peut être le thérapeute de ses parents !
Et quand c’est plus compliqué ?
Le recours à la consultation avec un suivi parental, conjugal ou familial plus poussé peut être indiqué. Pour ne pas en arriver là, il faut relativiser les enjeux de la parentalité, arrêter de s’en demander toujours plus. Et se faire confiance ! On peut dire non à un enfant.