Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Ses aquarelles sont la vie même. ”

- ANDRÉ PEYRÈGNE nous@nicematin.fr

Cocher, êtes-vous libre ? » Mais le cocher ne répond pas… Il n’a pourtant personne dans son fiacre laqué bleu. Comme on monterait bien dedans ! Où se trouve-t-il ? Devant l’Hôtel Gray d’Albion à Cannes. Ce n’est pas le Gray d’Albion d’aujourd’hui, mais l’hôtel d’avant. Il s’appelait simplement Gray. Il fut construit 1863, lors de l’essor touristiqu­e de Cannes, après que Lord Brougham, venu de Grande-Bretagne, ait lancé la station et fait venir l’aristocrat­ie anglaise. L’hôtel, à l’époque, se dressait au milieu d’un champ de vignes et de figuiers, entre la rue d’Antibes et le boulevard de l’Impératric­e (future Croisette).

Détruit et reconstrui­t

Onze ans plus tard, le Gray fusionnait avec l’établissem­ent voisin, l’Albion. Au début du XXe, fut aménagé un parc où s’installère­nt des cafés chics et des boutiques de luxe. L’aprèsguerr­e verra le déclin de l’hôtel. Dans les années soixante-dix, il sera détruit, reconstrui­t et inauguré en 1980 par le président Giscard d’Estaing. C’est donc au début du XXe que le peintre Raoul Dufy est venu. Qu’a-t-il fait ? Est-il resté devant les grilles ? Est-il entré à l’intérieur ? On ne sait. Sa peinture est celle de la fête. Elle s’inscrit dans un style décoratif. « Dufy allège, simplifie, pour ne garder que les lignes nécessaire­s », écrit Jean-Paul Potron dans Cannes et ses peintres (éditions Giletta). « L’aquarelle permet une rapidité d’expression et une fluidité que ne rend pas possible la peinture à l’huile », insiste MarieLucie Véran, directrice adjointe au Musée de la Castre à Cannes. On a beaucoup écrit sur les aquarelles de Dufy : « Elles sont la vie même, exaltées sous le regard d’un créateur de génie et réalisées avec une économie de moyens. Elles sont fluides mais jamais floues. Elles sont prestes mais non hâtives. Elles sont profuses mais non chargées. Elles sont transparen­tes et non pas mièvres, à cause de la fermeté de l’attaque. » (Marcelle Berr de Turique).

Dissocier le dessin et la couleur

On assiste chez Dufy à une sorte de dissociati­on entre le dessin et la couleur. Dans les années 1920, en regardant une fille courir, il a trouvé que l’esprit enregistre plus vite la couleur que le contour. Il décide alors de dissocier les couleurs et le dessin. On est ici dans un jeu de lignes verticales donné par les grilles, les troncs des arbres, les fenêtres et le bâtiment. Les différente­s nuances de vert allant du foncé au clair observées dans les arbres permettent de mettre en évidence les différents plans. Comme toujours chez Dufy, le palmier est roi. Les variations d’épaisseur des traits de la grille permettent de deviner le jardin en transparen­ce. Il règne dans cette aquarelle une joie lumineuse. Ce n’est pas le ciel qui est bleu, ici, mais le sol – qui répond au bleu du toit de l’hôtel. « - Oui, monsieur je suis libre, finit par nous dire le cocher, qui semble, soudain, sorti de sa torpeur. Voulez-vous monter ? Où voulez vous aller ? - Au pays du rêve et de la couleur… »

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