Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Le combat de Véronique, maman d’enfants autistes

Depuis le confinemen­t, cette mère divorcée vivant avec ses deux fils atteints de troubles envahissan­ts du développem­ent est la cible de jets de kiwis, d’oignons, de clous.

- VÉRONIQUE MARS vmars@nicematin.fr

Des coeurs et du rose partout. Sur les murs, les meubles, les coussins de son salon : la maison de Véronique Bourlat, située dans un lotissemen­t de l’avenue Sainte-Marguerite, à Nice, ressemble à une bonbonnièr­e. Une bulle de douceur et de tendresse que cette fonctionna­ire de 54 ans, divorcée, maman de deux grands enfants autistes a aménagée « avec bonheur » il y a huit ans. Une bulle qui est aujourd’hui son rempart contre la bêtise humaine. La livraison, en début d’année d’un immeuble tout neuf, au 290 avenue Sainte-Marguerite, et l’arrivée de nouveaux voisins ont fait basculer la vie de Véronique dans un cauchemar.

« Au nom de toutes les mamans »

Si Véronique a décidé de raconter ce qu’elle endure, c’est, dit-elle, « au nom de toutes les mamans d’enfants autistes qui n’osent pas prendre la parole. » « De l’autisme, on ne montre que le bon côté, le syndrome Asperger et ces enfants surdoués, soupire-t-elle. Il y a aussi l’autisme TED (troubles envahissan­ts du développem­ent). » Deux de ses trois enfants en sont atteints. Pour Johan, le cadet, le diagnostic est tombé en 1998, il avait 3 ans. « Je savais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, raconte-t-elle d’une voix étranglée. Il ne me regardait jamais dans les yeux, ne me comprenait pas quand je lui parlais. L’entrée en maternelle a été une horreur. Il hurlait en classe et ne se calmait qu’à mon arrivée. J’ai consulté et c’est là que l’on m’a parlé d’autisme, un mot, alors, totalement inconnu pour moi. Depuis, je suis devenue incollable sur le sujet. »

« En huit ans, jamais eu de plainte »

Aujourd’hui, Johan a 24 ans, Thrystan,

23 ans. L’un est blond, une tête d’ange souriant à la vie, adore la musique, regarde la télé, s’exprime en « écholalie » en répétant tout ce qu’il entend, parle par onomatopée­s. « J’ai dû attendre quinze ans pour que Johan m’appelle « maman » pleure-t-elle doucement. L’autre est brun, introverti, trop silencieux, souffre de TOC, avec des tendances à l’automutila­tion pour montrer qu’il existe. Atteints de trouble autistique, Johan et Thrystan sont dans un institut médicoéduc­atif où ils sont internes et Véronique les récupère le week-end. « Depuis huit ans que j’habite ici, mes voisins sont au courant pour mes fils. Il n’y a jamais eu de plainte, pas la moindre remarque. Bien au contraire ».

« Quand il regarde un dessin animé, il reproduit les bruitages »

L’arrivée de nouveaux voisins dans l’immeuble d’en face a rompu cette entente harmonieus­e. « Le confinemen­t a été terrible. Les internats étant fermés, j’ai repris mes deux fils à la maison. Or, les autistes ont besoin de règles, d’habitudes. Tout changement les perturbe. » Et de confesser que pour Thrystan, il n’y a pas eu de problème, «sa chambre donnant de l’autre côté. » Ce qui n’est pas le cas de Johan dont la fenêtre s’ouvre sur les nouveaux voisins. « Je suis allée les voir pour les prévenir que mon fils faisait des bruits un peu bizarroïde­s. » Mise en congé exceptionn­el pour s’occuper de ses enfants, Véronique a dû gérer aussi les problèmes de voisinage. « Johan mesure 1,92 m pour 110 kg et a la voix qui porte, reconnaite­lle. Durant le confinemen­t il aimait être à la fenêtre, ou bien devant la télévision. Quand il regarde un dessin animé comme Blanche

Neige par exemple, il reproduit tous les bruitages. Ce qui n’a pas fait rire les nouveaux voisins. »

Visite et lettre anonyme

Quelques jours plus tard, elle reçoit la visite d’un couple vivant dans le nouvel immeuble. « Il était exaspéré par les bruits de mon fils, ce dont je me suis excusée en expliquant la situation. Le handicap n’est pas que sur roulettes ! Chez mon fils, cela ne se voit pas. » Mi-mars, c’est une lettre anonyme qu’elle retrouve dans sa boîte aux lettres. Évoquant le handicap de Johan, ce mot lui enjoint de « faire cesser le tapage en fermant au minimum la fenêtre. » Véronique s’exécute. « Tous les soirs, jusqu’à la mi-mai, nous avons vécu fenêtres et volets fermés avec la clim’ à fond. Je ne pouvais pas faire plus. »

Jets de kiwis, d’oignons, de grosses vis

Loin de s’arrêter, l’animosité grandit, se transforme en hostilité. Cette fois-ci plus de lettre déposée. La voiture de Véronique est rayée, l’un des rétroviseu­rs cassé. Le 10 mai, ce sont des jets de kiwis qui s’abattent sur sa maison, centrés sur la fenêtre de Johan. Véronique dépose plainte. Ses voisins du lotissemen­t s’organisent pour la soutenir. Par des mots, des pétitions, des déclaratio­ns sur l’honneur que Johan et Thrystan «ne posent et n’ont jamais posé aucun problème. » Il n’empêche. Malgré la réouvertur­e des internats où, dès le 12 juillet, Johan et Thrystan ont trouvé une place, l’escalade continue. Aux jets de kiwis succèdent des lancés d’oignons, de tomates... Samedi dernier, ce sont de grosses vis, des clous, et des piles qui ont été jetés sur la fenêtre de Johan. À nouveau elle dépose plainte au commissari­at Foch. Cette fois-ci pour « violence sur personne vulnérable sans ITT ».

« La prochaine fois, ce sera quoi ? »

Depuis, Véronique avoue avoir la boule au ventre, le vendredi soir, lorsqu’elle récupère ses enfants, chez elle. « Johan ne comprend pas ce qui se passe. La prochaine fois, ce sera quoi ? On va lui tirer dessus à balle réelle ? » s’angoisse sa mère. « Je fais au mieux pour être dans la norme. Je ne vis que pour mes fils. Être maman d’enfants autistes est une belle leçon de vie qui vous apprend la compassion, l’humanité, mais qui est lourde à porter. Alors, qu’on ne vienne pas me rajouter du poids et des soucis, je n’ai pas besoin de ça, confesse-t-elle en pleurant. Elle s’arrête, respire et reprend d’une voix plus forte : « Je ne demande rien. Juste qu’on nous laisse tranquille, moi et mes fils. »

 ?? (Photo Sébastien Botella) ?? Samedi, Véronique a retrouvé des vis et des piles dans son jardin. « C’est la chambre de mon fils qui était visée et ce n’est pas la première fois » dit-elle en montrant la photo de sa maison constellée de jets de kiwis et d’oignons.
(Photo Sébastien Botella) Samedi, Véronique a retrouvé des vis et des piles dans son jardin. « C’est la chambre de mon fils qui était visée et ce n’est pas la première fois » dit-elle en montrant la photo de sa maison constellée de jets de kiwis et d’oignons.

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