Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
La semaine de Claude Weill
Mardi
En Angleterre, la nouvelle appli de traçage du Covid a été téléchargée , millions de fois en quatre jours. En Allemagne, ils en sont à plus de millions. En France, quatre mois après son lancement, StopCovid se traîne lamentablement avec , millions d’utilisateurs. Navrant. Faut dire que les oppositions et nombre de médias ont fait ce qu’il fallait pour que ça plante. Comme s’il était plus important d’infliger une défaite au gouvernement que de combattre le virus. On a tout entendu : « Attention, flicage ! », «Ça ne marchera jamais. », etc. La prévision était autoréalisatrice : si les gens pensent que ça ne marchera pas, forcément… ça ne peut pas marcher. Mais que voulez-vous : quand même le Premier ministre, à l’époque chargé du déconfinement, avoue benoîtement que lui non plus ne l’a pas chargée ! Tout cela dit beaucoup de la défiance qui mine la société française.
Défiance généralisée : envers le pouvoir, la technique, l’information, les autres. Notre pays s’y enfonce et s’y complaît, y voyant souvent une forme supérieure de clairvoyance. A nous, on ne nous la fait pas… « Nous, les Français, nous avons une telle peur d’être dupes des autres que nous finissons par l’être de nous-mêmes, et que la défiance nous coûte plus cher que la crédulité. » (Emile de Girardin)
Mercredi
Sur une radio de service public, un philosophe et sociologue de faible notoriété conchie allègrement la loi et la démocratie, appelle à censurer dans l’espace public les « opinions injustes » afin que triomphent les « opinions justes » : les siennes. Une rhétorique d’extrême gauche, parfaitement totalitaire, assénée d’un ton sans réplique. Protestations. Controverses. Le même jour, sur une télévision abonnée aux dérapages, un pamphlétaire de droite identitaire dénonce
les mineurs étrangers isolés, désignés en bloc comme voleurs, assassins et violeurs. Indignation, polémiques… Deux jours de bruit médiatique. Ainsi va le débat « intellectuel » dans la France de , où le clash et le buzz font loi. La mise en spectacle de l’information et l’hystérisation par les réseaux sociaux survalorisent les extrêmes, les marginalités bruyantes, les provocations calculées. Il existe une sorte de coefficient d’exposition médiatique indexé sur la radicalité, voire l’absurdité du propos. Les excités font l’agenda. Mais tout ça n’est que ronds à la surface de l’eau. Le pays a bien plus de bon sens.
Jeudi
C’est le tour d’une activiste lesbienne de choc, autrice d’un méchant pamphlet dont les médias se régalent, où elle célèbre le Génie lesbien (c’est le titre) et exprime sa détestation des hommes, en gros et en détail. Même cause, mêmes effets. Protestations indignées. « Comment ose-t-elle ? » Soutiens mécaniques : « Votre rage prouve qu’elle a visé juste ! »
Pur sophisme. Depuis quand la véhémence des critiques témoignerait-elle de la validité d’une thèse ? Ce qui frappe, à lire ces débats, c’est de constater combien ces néo-extrémistes pensent et vivent en silos, entourés de gens qui pensent comme eux et se confortent dans leurs certitudes. Exposée à l’air libre de la critique, leurs systèmes s’autodétruisent comme les fresques antiques, dans Fellini Roma, s’effacent à la lumière du jour.
Vendredi
Emmanuel Macron, lui, a choisi, la ligne de crête. En s’engageant à découvert sur le terrain miné du débat sur la République et l’islam, il savait qu’il ne pouvait se permettre aucun faux pas. Chaque mot serait pesé, chaque intention scrutée. Trouver le point d’équilibre. Combattre le « séparatisme » islamiste sans stigmatiser les musulmans, c’était toute l’affaire. Pari tenu ? On jugera aux actes. Pour l’heure, mises à part les trop prévisibles réactions des extrêmes, les autres partis d’opposition observent
un prudent silence. Le « enmême-temps » présidentiel a reçu le double satisfecit de l’Observatoire de la laïcité et du printemps républicain – ce qui n’est pas un mince exploit. Cela augure-t-il d’un débat pacifié ? Prudence. Le chantier commence à peine. La sortie du champ de mines est encore loin.
Samedi
Comme il se doit, c’est sur Twitter que le Tweet-Président des EtatsUnis a fait connaître la nouvelle. Un million huit cent mille vues. Et presque autant d’interrogations. Sur l’état de santé réel de Donald Trump. Sur le traitement expérimental qu’on lui administre. Sur les conséquences politiques. Peut-il capitaliser électoralement sur la compassion, lui le fier-à-bras, le winner ? Sera-t-il en capacité de reprendre sa campagne ? D’exercer ses fonctions jusqu’au bout ? Incroyable situation. Le monde suspendu aux bulletins de santé de celui qui n’a cessé de biaiser avec la réalité, minimiser la gravité de la situation, multiplier décisions hasardeuses et avis médicaux loufoques, défier les règles sanitaires, railler ceux qui, comme Biden, ont choisi de porter un masque. Un homme face à son destin, qui se croyait invulnérable et découvre, au prix de la douleur, que face à la maladie, puissant ou misérable, il ne sert à rien de jouer au dur.
« Il existe une sorte de coefficient d’exposition médiatique indexé sur la radicalité, voire l’absurdité du propos. Les excités font l’agenda. »